PARIS, 21 AVRIL (ASPAMNEWS)- L’avance de Macron dans les sondages a permis au président candidat de mener le débat d’entre-deux-tours sans prise de risque. En effet, assumant le risque de paraître arrogant, le président sortant s’est efforcé de déstabiliser la candidate d’extrême droite, cinq ans après l’échec de cette dernière lors de leur premier débat présidentiel.
Plutôt que de rester prudent et de jouer en contre, le président sortant a tenté de prendre la main dès le début du débat. Ne cessant de couper la parole de la candidate du Rassemblement national (RN) et de lancer des accusations, en particulier sur sa proximité avec la Russie, M. Macron s’est efforcé de manière méthodique de la déstabiliser, cinq ans après l’échec de Marine Le Pen lors de leur premier débat présidentiel. « Vous allez créer la guerre civile ! », « vous ne vivez que de la peur et du ressentiment ! », « le rabougrissement, c’est vous ! », « vous n’expliquez pas comment vous faites ». Comme un boxeur agressant d’entrée de jeu son adversaire, afin de le jeter dans les cordes.
« Arrêtez de tout confondre. Aïe aïe aïe… » « Votre programme n’a ni queue ni tête. » « Vous êtes climatosceptique. » « Vous parlez à votre banquier quand vous parlez à la Russie. » Si certains s’attendaient à ce qu’Emmanuel Macron soit prudent dans son débat d’entre-deux-tours avec Marine Le Pen, mercredi 20 avril, afin de ne pas alimenter les accusations d’arrogance, le chef de l’Etat s’est, au contraire, montré à l’offensive face son adversaire d’extrême droite. Comme s’il voulait enfin jeter toutes ses forces dans la bataille de l’élection présidentielle, à quatre jours du second tour, dimanche 24 avril.
Il s’agit d’une rupture avec la stratégie suivie pendant des semaines. Refus de débattre avec les autres candidats, peu de déplacements, campagne minimale et en surplomb… Avant le premier tour, le 10 avril, le locataire de l’Elysée jouait la sécurité. Il aurait pu poursuivre sur cette voie lors du débat télévisé, en gérant son avance dans les sondages, qui le donnent invariablement vainqueur. D’après l’enquête Ipsos-Sopra Steria pour Le Monde, publiée mercredi 20 avril, il l’emporterait avec 56 % des voix, contre 44 % à Marine Le Pen.
Le pouvoir d’achat a-t-il augmenté depuis cinq ans, comme l’a affirmé Macron ?
«Le pouvoir d’achat des Français a augmenté», a déclaré Emmanuel Macron. Si, sous son quinquennat, le pouvoir d’achat devrait effectivement croître de 4% en moyenne pour l’ensemble des Français, difficile de dire, pour l’instant, pour quelle catégorie il aura plus ou moins progressé. Dans une note de mars, l’OFCE a cependant réalisé des projections, «à prendre avec prudence», qui semblent confirmer que le pouvoir d’achat devrait augmenter de 5,3% pour les 10% les plus modestes, contre 3% pour les 10% pour les plus aisés. Un bénéfice plus important, donc, pour les moins aisés, mais davantage lié à la reprise de l’emploi qu’aux mesures décidées sous le quinquennat. Car ces dernières ont surtout bénéficié, elles, au haut de l’échelle des revenus.
Est-il possible de mettre en place une TVA à 5,5% sur les carburants «de manière pérenne», comme le souhaite Le Pen ?
Marine Le Pen souhaite «baisser de manière pérenne la TVA sur l’énergie de 20% à 5,5%». C’est une mesure de son programme – concernant à la fois le carburant, le gaz, l’électricité et le fioul – et elle l’a encore répétée lors de ce débat de l’entre-deux-tours. Problème : pour les taxes sur les carburants, tout du moins, c’est loin d’être aussi simple. Car le taux «normal» de la TVA à 20% sur les carburants en France est régi par le droit européen, qui ne prévoit pas qu’une baisse en dessous de 15% puisse être définitive.
La hausse des prix du carburant est-elle la responsabilité de Macron, comme l’a affirmé Le Pen ?
Pour la candidate du Rassemblement national, c’est très clair : le président sortant «a déclenché d’abord les problèmes de pouvoir d’achat pour les Français, mais également la crise des gilets jaunes», en augmentant les taxes sur le carburant. Si une augmentation du prix de l’essence à la pompe ces dernières années est indéniable, elle n’est en réalité pas directement imputable, ou seulement très partiellement, à la hausse des taxes. Car le coût du carburant se compose aussi et surtout des variations du cours du pétrole, qui a explosé ces dernières années. Alors que la TICPE, la proportion des taxes dans le prix global du litre de carburant, qui a été gelée en 2018, a quant à elle diminué en cinq ans.
Y a-t-il 9,8 millions de pauvres en France, et 400 000 de plus qu’en 2017 ?
Face à Macron, la candidate d’extrême droite a souligné qu’«il y a 400 000 pauvres supplémentaires sous votre quinquennat. Nous sommes donc dans un pays où il y a 9,8 millions de pauvres au moment où nous nous parlons». S’il est encore trop tôt pour mesurer l’évolution de la pauvreté durant les cinq années précédentes, une note de l’Insee constate qu’il y avait 8,9 millions de personnes sous le seuil de pauvreté en 2017, contre 9,3 millions (estimation sur la base de microsimulation) pour l’année 2020, soit 400 000 de plus. En revanche, le nombre de 9,8 millions de pauvres cité par Le Pen correspond, lui, à l’année 2018.
Une personne sur deux est-elle inactive au moment de prendre sa retraite, comme l’a affirmé Marine Le Pen ?
«A 62 ans et 8 mois, [les gens] sont déjà la moitié à être en inactivité au moment où ils prennent leur retraite», a avancé Marine Le Pen pour justifier son opposition au report à 65 ans de l’âge légal de départ proposé par Emmanuel Macron. En réalité, la candidate d’extrême droite mélange ici deux notions différentes : la situation des Français quand ils atteignent l’âge moyen de départ à la retraite (environ 63 ans aujourd’hui), sans partir forcément à la retraite en réalité, et la situation des personnes au moment où elles partent réellement à la retraite, et qui n’a pas lieu au même âge pour tous. Si, dans le premier cas, elle a tort, elle a plutôt raison dans le second : seules 56% des personnes partant à la retraite sont encore en activité.
L’industrie a-t-elle perdu de 14 500 emplois en cinq ans ?
«Vous avez perdu 14 500 emplois industriels sous le quinquennat», a avancé Marine Le Pen lors du débat. A quoi Emmanuel Macron a répondu : «C’est faux, regardez les chiffres de l’Insee.» Que disent ces derniers ? La France comptait, fin 2021, 25,9 millions d’emplois salariés, dont 3,13 millions dans l’industrie. Soit une hausse, par rapport au début du quinquennat, de 957 200 emplois salariés totaux, mais une baisse de 3 900 postes dans l’industrie (hors intérim). Autrement dit, l’industrie a bien perdu, en net, près de 4 000 emplois sur le quinquennat (et non 14 500), tandis que l’emploi salarié global progressait de près d’un million sur la même période. Mais la tendance est à nouveau à la hausse dans l’emploi industriel.
Seulement 100 000 chômeurs en moins en cinq ans, selon Le Pen… ou un taux de chômage «au plus bas», selon Macron ?
Seulement 100 000 chômeurs en moins sur le dernier quinquennat selon Le Pen. Un taux de chômage au plus bas selon Macron. Les deux candidats à la présidentielle ont tous les deux raison, mais ne parlent pas de la même chose. Fin 2021, le chômage, au sens du Bureau international du travail, a touché 7,4% de la population active en France, un taux au plus bas depuis 2008. Mais le nombre de demandeurs d’emplois inscrits à Pôle Emploi en catégories A, B et C n’a baissé que de 218 000 sur le quinquennat.
Quelle est la part du Covid dans la hausse de 600 milliards d’euros de dette sous Macron ?
«Ne me donnez pas de leçons sur le financement de mon projet, car quand on a 600 milliards de dettes au compteur, on reste modeste», a lancé Marine Le Pen. «Les 600 milliards d’euros de dettes, c’est 200 milliards de l’Etat. Le reste, c’est la sécurité sociale et les collectivités locales, lui a répondu Emmanuel Macron. Pourquoi ? Car vu que les gens ne pouvaient plus travailler [à cause de la crise sanitaire], on n’a pas relevé leurs cotisations.» Selon François Ecalle, ancien magistrat de la Cour des comptes interrogé par CheckNews, plus de la moitié de l’augmentation de la dette correspondait bien au coût de la crise sanitaire.
Y a-t-il 10 000 policiers et gendarmes de plus sur le terrain qu’en 2017, comme l’affirme Macron ?
Emmanuel Macron a expliqué avoir, au cours de son quinquennat, «créé 10 000 postes de policiers et de gendarmes», qui «sont maintenant sur le terrain». Or, pour commencer, ce chiffre porte sur une période de six ans qui comprend 2017, année dont le budget a été voté sous la présidence précédente. De plus, l’indicateur retenu est l’équivalent temps plein (ETP), qui ne tient pas compte de la durée de travail effectuée sur l’année par les agents. En comptabilisant les effectifs en équivalent temps plein travaillé (ETPT), indicateur plus précis, le nombre de nouveaux postes sur les cinq dernières années se situerait plutôt autour des 5 500. Enfin, cette hausse des moyens humains ne s’est pas forcément accompagnée d’une présence accrue des forces de l’ordre sur le terrain. Un rapport de la Cour des comptes, portant sur la période 2010-2020, indique que c’est même le contraire.
Habib Bourguiba a-t-il interdit le voile dans la rue ?
Alors que Marine Le Pen défendait sa proposition d’interdire le voile dans la rue, Emmanuel Macron a rappelé la double bourde, il y a quelques jours, de son adversaire qui présentait sur France Inter le président Habib Bourguiba comme le dirigeant qui aurait interdit le voile dans la rue en Algérie. A tort, et pas simplement parce qu’il fut le président tunisien. Car Bourguiba n’a jamais interdit le voile dans l’espace public. La décision de l’interdire ne concernant que les écoles et l’administration. Marine Le Pen a persisté. Dans l’erreur.
15 000 soignants ont-ils été licenciés en raison de la crise sanitaire ?
La candidate du RN a reproché à Emmanuel Macron de ne pas avoir fait preuve «de beaucoup d’empathie» durant la crise sanitaire à l’égard du personnel soignant à propos duquel elle affirme : «Vous avez licencié 15 000 soignants.» Ces agents n’ont pas été licenciés mais suspendus depuis la mise en place de l’obligation vaccinale le 16 octobre 2021. Leur nombre reste encore flou malgré des estimations de 15 000 soignants non vaccinés à quelques jours de l’entrée en vigueur de la mesure.
Emmanuel Macron a-t-il changé d’avis sur le nucléaire en cinq ans, comme l’affirme Marine Le Pen ?
La réponse est plutôt oui. En 2017, le candidat Macron voulait garder le cap de 50% d’électricité d’origine nucléaire en 2025 fixé sous Hollande. En 2018, il annonçait sa volonté de mettre à l’arrêt douze réacteurs en sus de ceux de Fessenheim. Cependant, ces derniers mois, il a lancé la construction de nouveaux réacteurs et appelé à prolonger la durée de vie du parc existant au-delà de cinquante ans.
Macron a-t-il vraiment doublé le rythme de la réduction des émissions de gaz à effet de serre ?
Le chiffre avancé par Emmanuel Macron est surévalué. Entre le début et la fin du quinquennat Hollande, les émissions de gaz à effets de serre en France métropolitaine avaient baissé d’environ 5%. Entre fin 2017 et fin 2021, elles ont chuté d’environ 6,9%. Cette baisse plus forte, mais pas dans les proportions indiquées par Emmanuel Macron, est notamment portée par les mesures de confinement prises en 2020, et la baisse d’activité associée.
Marine Le Pen est-elle (ou a-t-elle été) climatosceptique ?
«Vous êtes climatosceptique», a lancé Emmanuel Macron à Marine Le Pen. Ce à quoi elle a répondu : «Je ne suis absolument pas climatosceptique. En revanche, vous, vous êtes climato-hypocrite !» En 2012, la candidate du RN mettait pourtant en doute le travail du Giec et ses conclusions sur le changement climatique. Elle fustigeait ainsi : «Le Giec, c’est le consensus de ceux qui ont la parole. Ce sont les prêtres et les évêques du changement climatique.» Une position ambivalente sur le climat qu’elle hérite du Front national.
L’UE attend-elle la fin de la présidentielle française pour annoncer un embargo sur le pétrole russe, comme l’affirme Marine Le Pen ?
L’Europe cachottière pour complaire au projet électoral d’Emmanuel Macron ? A propos d’un nouvel embargo sur les hydrocarbures de Moscou, Marine Le Pen a affirmé lors du débat : «On nous annonce d’ailleurs qu’il serait négocié par l’Union européenne après l’élection présidentielle française.» Un article du New York Times, déjà largement cité ces derniers jours par les soutiens de la candidate RN, évoque explicitement cette petite cuisine en citant des sources anonymes. Emmanuel Macron a réfuté cette affirmation avant le débat, pointant une autre raison à la lenteur de cette décision, également cité par le quotidien américain : la frilosité de certains Etats membres de l’Union, dont l’accord unanime est nécessaire.
Au-delà du tweet qu’elle a montré, quelle était la position de Marine Le Pen sur l’Ukraine en 2014 ?
Pour répondre à Emmanuel Macron, l’accusant d’être influencée par ses liens avec la Russie, Marine Le Pen a montré sur le plateau un tweet dans lequel elle soutenait l’Ukraine dès 2014. «L’Ukraine sans la Crimée», lui a rétorqué le candidat LREM. Justement. Car depuis 2014, la candidate maintient que la Crimée n’a pas été annexée par la Russie.
Marine Le Pen est-elle vraiment d’accord sur «l’intégralité des sanctions» contre la Russie ?
La candidate du Rassemblement national a affirmé «être d’accord» avec toutes les sanctions contre Moscou. Une position qui a de quoi surprendre : au Parlement européen, son parti a systématiquement voté contre les sanctions qui visaient la Russie jusqu’à l’invasion de l’Ukraine. Le parti a par exemple voté à l’unanimité contre la résolution du Parlement européen d’avril 2021 qui visait à condamner la Russie pour ses attroupements à la frontière ukrainienne, pour la persécution d’Alexeï Navalny et pour l’implication de Moscou dans le sabotage d’un dépôt de munition tchèque en 2014. (FMT/2022)