TURQUIE/PRESIDENTIELLE: un second tour inévitable, Erdogan en position de force

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ANKARA, 15 MAI (ASPAMNEWS)- Le chef d’Etat sortant, qui était devancé dans les sondages par son adversaire, Kemal Kiliçdaroglu, sort finalement en tête du premier tour de la présidentielle. Avec 49,4 % des suffrages, il est en mesure de décrocher un troisième mandat d’affilée. L’issue de la présidentielle turque se jouera le 28 mai, lors d’un second tour : c’est ce qu’a fini par concéder le principal candidat d’opposition à la présidentielle Kemal Kiliçdaroglu dans la nuit de dimanche à lundi. 

«Si la nation décide d’un second tour, c’est ainsi qu’il en sera», a-t-il déclaré, flanqué d’Ekrem Imamoglu et de Mansur Yavas, les maires d’Istanbul et d’Ankara, ainsi que des chefs des cinq autres partis constituant l’alliance d’opposition. Avant d’ajouter : «Nous gagnerons certainement cette élection au second tour.»

Selon l’agence de presse Anadolu, réputée proche du pouvoir, 49,34% des voix vont au président sortant, contre 45% à Kiliçdaroglu après dépouillement de 98,06% des bulletins. L’agence Anka, considérée comme plus indépendante, indiquait des résultats semblables.

Les deux prétendants au pouvoir en Turquie, le président sortant Recep Tayyip Erdogan et son adversaire, Kemal Kiliçdaroglu, se disent tous deux en mesure de l’emporter à l’issue du scrutin de dimanche, lors d’un second tour le 28 mai qui semble désormais avéré.

La journée a commencé dans le calme et sous un beau soleil de printemps, elle s’est terminée dans la confusion et la nuit la plus noire. Il a fallu attendre près de minuit pour se rendre à cette double évidence : pour la première fois de sa carrière, le président sortant Recep Tayyip Erdogan, au pouvoir depuis vingt ans, n’a pas remporté l’élection dès le premier tour, recueillant 49,4 % des suffrages. Son adversaire Kemal Kiliçdaroglu, contrairement aux prévisions de la quasi-totalité des sondages qui le donnaient en tête ces dernières semaines, arrive en deuxième position, avec 45 %. Un second tour aura donc lieu le 28 mai.

Cette élection est déterminante pour savoir non seulement qui dirigera la Turquie, mais aussi quelle sera l’orientation de politique étrangère de cette puissance régionale de 85 millions d’habitants, notamment dans ses relations avec ses alliés traditionnels et avec la Russie.

Les résultats disent à quel point la Turquie est polarisée. M. Erdogan se présente en position de force au second tour, alors que les résultats préliminaires des élections législatives qui se sont déroulées le même jour donnent à l’alliance au pouvoir – le Parti de la justice et du développement (AKP) et son allié, le Parti de l’action nationaliste (MHP) – une majorité parlementaire.

Le MHP, la formation d’extrême droite de Devlet Bahceli, l’allié indispensable d’Erdogan, a visiblement fait le plein de ses voix, contrairement à ce qu’avaient annoncé la plupart des sondages et enquêtes de terrains. Par ailleurs, l’alliance au pouvoir a fait mieux que ce à quoi on pouvait s’attendre dans les régions touchées par le tremblement de terre en février, atteignant même des résultats extrêmement élevés dans les villes de Kahramanmaras, Gaziantep et la région du Hatay.

Mines crispées et abattues

Les législatives, qui se jouent en Turquie au scrutin proportionnel à un tour, accordent elles aussi une victoire à l’alliance constituée du Parti de la justice et du développement (AKP) et le Parti d’action nationaliste (MHP), avec 49,46% des voix, tandis que l’alliance d’opposition n’en remportait que 35,85%, avec 99,67% des bulletins ouverts, selon l’agence Anka.

Une défaite cinglante pour l’opposition, qui, enhardie par des sondages trop favorables à son égard ces dernières semaines, escomptait terminer en tête, voire remporter une victoire à la majorité absolue dès le premier tour.

Au cours de cette soirée électorale, au siège du Parti républicain du peuple (CHP) d’Istanbul, des visages fermés scrutaient d’abord soucieusement le décompte des voix sur les écrans de télévision. Mais, au fur et à mesure que la nuit avançait, il se dessinait des mines crispées et abattues.

Tandis que les chaînes de télévision annonçaient l’avance de Recep Tayyip Erdogan, le camp de l’opposition a d’abord insisté sur une victoire et contesté les résultats transmis par l’agence Anadolu. «Les résultats rapportés par l’agence Anadolu sont nuls. […] M. Kiliçdaroglu sera déclaré président de notre pays ce soir», ont ainsi déclaré Ekrem Imamoglu et Mansur Yavas aux alentours de 21 heures.

Quelques heures plus tard, Kemal Kiliçdaroglu s’est attaqué au Conseil électoral supérieur, l’institution judiciaire chargée du processus électoral, et a dénoncé des «objections sciemment coordonnées» dans les bureaux de vote «où l’opposition est gagnante» afin «d’entraver» sa victoire.

Gagnant inattendu

Recep Tayyip Erdogan, quant à lui, a attendu jusqu’à 2 heures du matin pour prononcer un discours. «Nous ne savons pas encore si l’issue de l’élection sera déterminée dès le premier tour. Si notre nation a exprimé sa préférence pour le second tour, qu’il en soit ainsi», a lancé le président-candidat depuis le siège de l’AKP à Ankara.

Le gagnant inattendu de cette présidentielle s’appelle Sinan Ogan. Ce candidat ultranationaliste, qui fait principalement campagne sur l’expulsion des réfugiés syriens et des immigrés, a remporté 5% des voix, arrachant des votes aussi bien à l’AKP qu’au CHP.

Sa percée a rappelé que si Kiliçdaroglu a pu compter sur le soutein de nombreux électeurs kurdes, il s’est dans le même temps aliéné une part de l’électorat nationaliste turc de par son alliance tacite avec le Parti démocratique des peuples (HDP), pro-kurde, honni pour ses liens supposés avec le groupe séparatiste armé du Parti des travailleurs du Kurdistan (PKK).

Dans la nuit, alors que se profilait la perspective d’un second tour, certains membres du CHP tentaient, malgré tout, de garder le moral. «On plaçait beaucoup d’espoir en cette campagne, alors en voyant ces résultats, j’éprouve de la colère et du chagrin, confie Güz Önder, 24 ans, un jeune membre du parti. On va poursuivre cette campagne jusqu’au second tour et on gagnera cette fois-là.»

«Nous aurons les résultats définitifs de la part de Conseil électoral supérieur vers la fin de la semaine, et d’ici là, tout peut encore changer», veut croire, quant à lui, Yigithan Erim, avocat et président de la commission juridique de la branche jeunesse du CHP à Istanbul. Mais, face à une si sévère désillusion, il paraît désormais ardu pour Kemal Kiliçdaroglu et le Parti républicain du peuple de revigorer leurs troupes et conserver l’attente d’une victoire le 28 mai.

Une base électorale solide pour l’AKP

Le premier tour a confirmé qu’Erdogan conservait une base électorale très forte et solide notamment dans les villes et les villages d’Anatolie. Mais pas seulement : dans les départements du sud-est de la Turquie, très touchés par le séisme, son parti reste majoritaire. Même si, là aussi, le candidat de l’opposition a su mobiliser une partie de l’électorat en sa faveur.

« L’hypothèse d’un 2è tour était attendue et dans ce sens il n’y a pas eu de surprise, poursuit Jean Marcou, sauf que l’opposition espérait un résultat beaucoup plus serré entre les deux candidats. » La vraie surprise est venue du score de Sinan Oğan, le candidat ultranationaliste. Arrivé en troisième position, avec 5,3 % des voix, il sera l’arbitre du second tour. Et il est probable que ce parti nationaliste marchande son soutien, et finisse par s’entendre avec le président Erdogan.

S’il a refusé de dire pour quel candidat il appellerait à voter, Sinan Oğan a d’ores et déjà annoncé qu’il pencherait en faveur de celui qui marginaliserait le parti pro-kurde et expulserait les réfugiés syriens. Une promesse lancée, durant la campagne, par Erdogan mais aussi par Kiliçdaroglu.

Une opposition très hétérogène

Qu’a-t-il manqué au candidat Kiliçdaroglu pour virer en tête à l’issue de ce premier tour ? « Il n’est pas un candidat par défaut, analyse Jean Marcou, et il a mobilisé le vote kurde, ce qui n’était pas évident pour son parti. Le problème pour cette opposition, c’est de prouver sa capacité à gouverner avec une coalition aussi hétérogène (qui va de la gauche à un parti nationaliste modéré, NDLR). »

Pour tenter de rattraper son retard, « Kiliçdaroglu peut jouer sur le thème de la démocratie et dire aux Turcs qu’ils ne doivent pas mettre en quelque sorte tous leurs œufs dans le même panier mais choisir d’équilibrer entre le Parlement acquis à l’AKP et l’exécutif, poursuit Jean Marcou. Aux yeux de l’opposition, tout peut encore arriver. »

Contestation

Au soir d’une élection qui a vu une mobilisation sans précédent de l’électorat, malgré la crise et trois mois après le séisme dévastateur du 6 février, le «reis» de 69 ans affirme être «clairement en tête» de la présidentielle, mais prêt à «respecter» un second tour s’il est nécessaire.

«Nous ne savons pas encore si l’élection est terminée avec ce premier tour mais si le peuple nous emmène au second tour, nous le respecterons» a-t-il promis. C’est la première fois que le chef de l’Etat, 69 ans, serait contraint à se présenter une deuxième fois devant les électeurs faute d’avoir réuni 50% des voix.

Face à lui, le social-démocrate Kemal Kiliçdaroglu, un ancien haut fonctionnaire de 74 ans qui emmenait une coalition inédite de six formations de l’opposition, était donné régulièrement en tête par les instituts de sondages, même d’une courte tête. Mais selon les résultats portant sur 95% des bulletins, il totalisait tout juste 45% des voix à 03H30 lundi (00H30 GMT) selon l’agence officielle Anadolu.

Son camp a immédiatement contesté ce chiffre, affirmant que les résultats des bureaux de vote les plus favorables au candidat restaient bloqués dans le système de la Commission électorale (YSK). «Vous entravez la volonté de la Turquie. Mais vous ne pouvez pas empêcher ce qui va advenir, nous n’accepterons jamais le fait accompli» a prévenu Kemal Kiliçdaroglu.

Le troisième candidat, Sinon Ogan, dissident du parti nationaliste MHP crédité d’environ 5% des voix, s’apprête à les négocier sans préciser avec qui. En soirée, les deux camps se sont livrés une bataille de chiffres, enjoignant à leurs observateurs respectifs de rester sur les lieux de dépouillement «jusqu’au bout».

Toute la journée, les urnes s’étaient remplies à grande vitesse de grosses enveloppes couleur moutarde déposées par des électeurs enthousiastes qui ont parfois attendu plusieurs heures avant de pouvoir voter. Le taux de participation, semble-t-il proche de 90%, n’a pas été communiqué officiellement.

Législatives

Les 64 millions d’électeurs devaient aussi choisir les 600 députés qui siègeront au parlement monocaméral à Ankara. Recep Erdogan en a revendiqué «la moitié» pour son camp. En 2018, lors de la dernière présidentielle, le chef de l’Etat l’avait emporté au premier tour avec plus de 52,5 % des voix.

Ce ballotage constitue donc déjà un revers pour M. Erdogan, qui a su développer son pays et le tirer vers la prospérité avant une dérive autocratique. Et un encouragement pour la vision laïque et pro-démocratie de Kemal Kiliçdaroglu, à la tête du CHP, le parti de Mustafa Kemal Atatürk, fondateur de la Turquie moderne.

«Pour le dire simplement, on veut la révolution française : ‘Egalité, liberté, fraternité’, parce que ces 20 dernières années, tout ça a disparu», estimait ainsi dans un quartier huppé d’Istanbul Ulvi Aminci, 58 ans, jean bleu et tatouage sur la main.

«Je dis ‘continuez’ avec Erdogan», implorait au contraire Nurcan Soyer, foulard sur la tête, devant le bureau de vote d’Erdogan sur la rive asiatique. Dans la ville meurtrie d’Antakya, l’ancienne Antioche (sud) ruinée par le séisme de février, Mehmet Topaloglu, arrivé parmi les premiers, réclamait «du changement: ça suffit».

Kemal Kiliçdaroglu emmenait un front uni de six partis de la droite nationaliste au centre gauche libéral censée lui garantir la victoire, avec le soutien du parti prokurde HDP, troisième force politique du pays.

Recep Erdogan se présentait en revanche devant un pays usé par une crise économique, avec une monnaie dévaluée de moitié en deux ans et une inflation qui a dépassé les 85% à l’automne. Malgré tout, «le peuple a choisi la stabilité et la sécurité lors de cette élection présidentielle», a-t-il affirmé.

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