PORT-AU-PRINCE, FEVRIER (ASPAMNEWS)- La justice haïtienne a inculpé une cinquantaine de personnes, dont l’ex-Première dame Martine Moïse, un ancien Premier ministre et un ex-chef de la police pour leur implication présumée dans l’assassinat du président Jovenel Moïse en 2021, selon la presse locale.
La justice haïtienne a inculpé une cinquantaine de personnes, dont l’ex-Première dame Martine Moïse, un ancien Premier ministre et un ex-chef de la police pour leur implication présumée dans l’assassinat du président Jovenel Moïse en 2021, a rapporté un média local.
D’après un document de justice, le magistrat a demandé le renvoi de Mme Moïse et 50 autres personnes devant le tribunal criminel « pour y être jugés sur les faits d’association de malfaiteurs, de vol à mains armées, de terrorisme, d’assassinat et de complicité d’assassinat, crimes commis au préjudice » du président Moïse.
« Les charges concordantes et les indices d’implication de l’ex-Première dame (Martine Moïse) dans l’assassinat du président Jovenel Moïse sont suffisants », note ce document, qui précise que « les déclarations de l’ex-Première dame (…) sont si entachées de contradictions qu’elles laissent à désirer et la discréditent ».
L’ancien Premier ministre par intérim Claude Joseph ou encore l’ancien directeur général de la police nationale Léon Charles figurent parmi les individus inculpés, l’ordonnance faisant état d' »indices suffisants » de complicité dans l’assassinat du chef de l’Etat haïtien pour tous deux.
Le document de 122 pages ne révèle pas d’importantes nouvelles informations dans le dossier. Il ne permet pas par exemple d’identifier clairement les auteurs intellectuels de l’assassinat, ni les bras financiers.
La décision, résultant d’une dizaine d’auditions, transfère une cinquantaine de personnes par devant l’instance criminelle sans assistance de jury.
Sont renvoyés par devant le Tribunal criminel les nommés : Martine Moïse, femme du défunt, Félix Badio, présenté comme un des planificateurs de l’assassinat, Léon Charles, ancien chef de la police et Dimitri Hérard, ancien commandant de l’Unité de Sécurité générale du Palais National.
Ces individus doivent être jugés pour leur complicité dans l’assassinat de l’ex-président Jovenel Moïse, survenu le 7 juillet 2021. Si le parquet de Port-au-Prince interjette appel dans le délai de dix jours prévu par la loi, toute l’ordonnance sera remise en question.
Si certains inculpés renvoyés au criminel interjettent appel, l’ordonnance sera suspendue jusqu’à la décision de la Cour d’appel. Les inculpés bénéficiant d’un non-lieu pourront être libérés entre temps.
«Ce n’est pas une instruction parfaite, mais le juge a fait de son mieux», analyse à AyiboPost, maitre Samuel Madistin, un avocat représentant deux des individus mis en cause dans l’assassinat. «La direction des Affaires économiques et financières de la direction centrale de la police judiciaire n’a pas été à la hauteur dans la recherche de ceux qui ont financé le coup. Ce manquement représente la faiblesse de l’instruction», poursuit-il.
Parmi les inculpés figure le nommé Félix Badio, un proche du Premier ministre Ariel Henry, considéré comme l’un des commanditaires de magnicide. Ingénieur de formation, Badio a travaillé dans l’administration publique.
Après, l’assassinat, il a été deux ans en cavale jusqu’à son arrestation dans un supermarché à Pétion-Ville le 19 octobre 2023.
Dans le cadre de l’instruction, Badio affirme qu’au niveau du palais, se sont formés plusieurs groupes d’intérêts autour du président Moïse dans le but de se débarrasser de lui pour «accaparer le pouvoir et satisfaire leurs appétits grossiers».
Parmi ces personnes, il y aurait Renald Luberice qui participait à des rencontres secrètes afin de renverser le chef d’État, selon les déclarations de Badio au juge d’instruction.
L’ex-première dame, Marie Étienne Martine Joseph Moïse, est déférée également par devant un tribunal criminel pour son implication présumée. L’ordonnance souligne l’existence «d’indices graves, suffisants» et de «charges concordantes» contre elle.
Ce qui réfute sa plainte adressée au Parquet près du Tribunal de Première Instance de Port-au-Prince, le 6 octobre 2021, où elle s’était constituée partie civile.
Lyonel Valbrun, ancien secrétaire général du palais national, témoigne devant le magistrat que deux jours avant l’assassinat, soit le 5 juillet 2021, l’ex-première dame s’était rendue au Palais National d’où elle emportait un tas d’objets. Ce déménagement, selon Valbrun, a duré près de cinq heures d’horloge.
Le 9 juillet 2021, la dame lui aurait confié ces propos : «Jovenel pat fè anyen pou nou, fòk ou louvri buro prezidan an bay Ti Klod [l’ancien Premier ministre Claude Joseph] poul fè yon konsèy minis, li pral fè eleksyon nan twa mwa poum ka vini prezidan, se kounya nou pral gen pouvwa».
Le juge critique les propos de la première dame, qui avait dit s’être réfugiée sous le lit afin de s’échapper le jour de l’attaque. « Tel que ce meuble est fabriqué, même un rat géant (cricetomys emini) dont la taille mesure entre 35 et 45 centimètres ne peut accéder au-dessous duquel pour s’y cacher », lit-on dans cette ordonnance.
Selon un rapport de la DCPJ, Miradieu Faustin, ancien militaire impliqué dans l’assassinat avait des liens étroits avec Badio et s’entretenait avec lui par téléphone, le soir et le lendemain de l’acte.
Miradieu, ancien directeur adjoint de l’Agence Nationale des Aires protégées (ANAP) était chargé d’établir contact avec différents chefs de gang du pays, pour trouver des armes à feu pour les mercenaires, selon le document. Tandis que, l’ancien directeur de cette même institution, Jeantel Joseph, était chargé du séjour des mercenaires colombiens dans le pays.
L’actuel premier ministre de fait Ariel Henry, a été auditionné dans le cadre de cette enquête le 26 décembre 2023, soutient ne pas se souvenir des multiples appels téléphoniques passés entre lui et Félix Badio, le soir du crime. « Il y a beaucoup d’autres amis qui m’ont dit m’avoir parlé ce jour-là dont je ne me souviens pas », a déclaré Henry.
L’ordonnance souligne également l’arrêt de la poursuite contre les individus déjà aux mains de la justice américaine, en vertu du principe « non bis in idem » : « nul ne peut être poursuivi ou puni pénalement à raison des mêmes faits ».
Ce sont, entre autres : l’ex-sénateur John Joël Joseph condamné à la prison à vie devant un tribunal américain en décembre 2023, l’haïtiano-américain James Solage, qui travaillait dans la compagnie Counter Terrorist Unit Security (CTU) et détenu aux USA, Joseph Vincent ex-informateur de la «Drug Enforcement Administration» (DEA) condamné à perpétuité en février 2024.
Par ailleurs, l’homme d’affaires haïtiano-chilien Rodolphe Jaar a déjà écopé d’une peine de prison à vie en juin 2023. Les nommés : Antonio Intriago, propriétaire de Counter Terrorist Unit Security (CTU), Arcangel Pretel Ortiz, opérateur de la société affiliée CTU Federal Academy LLC, Walter Veintemilla, directeur de la compagnie Worldwide Capital Lending Group ont été arrêtés en février 2023 en Floride.
Germán Alejandro Rivera García a été condamné le 27 octobre 2023 à la prison à vie ; Mario Antonio Palacios Palacios, un ancien militaire colombien a été arrêté en janvier 2022 pour complicité avec le commando ayant assassiné le président Moïse. Il a plaidé coupable en décembre 2023.
Pour rappel, 44 personnes sont arrêtées en Haïti dans le cadre de ce dossier. Des onze suspects se retrouvant devant la justice américaine, cinq ont déjà plaidé coupables.
Rappelons que c’est 7 juillet 2021, que Jovenel Moïse avait été tué par balle dans sa résidence privée à l’âge de 53 ans par un commando de plus de 20 personnes, principalement des mercenaires colombiens, sans que ses gardes du corps n’interviennent. Martine Moïse avait elle-même été blessée lors de l’attaque.
Le 9 février, Joseph Vincent, un Américano-Haïtien accusé d’avoir participé à son assassinat a été condamné en Floride, aux Etats-Unis, à la réclusion criminelle à perpétuité.
La justice américaine avait lancé des poursuites visant 11 personnes accusées d’être mêlées à l’assassinat, au motif que le complot avait été ourdi en Floride. Quatre d’entre elles ont été condamnées à la prison à vie, dont Joseph Vincent qui avait plaidé coupable en décembre.
Haïti fait face à une grave crise politique, sécuritaire et humanitaire, des gangs armés ayant pris le contrôle de pans entiers du pays, et le nombre d’homicides ayant plus que doublé en 2023, et l’assassinat de M. Moise a plongé le pays le plus pauvre du continent américain encore davantage dans le chaos. (KTD/2024)