TOGO-MODIFICATION-CONSTITUTION: la gouvernance s’en va à vau-l’eau

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LOME, 4 AVRIL (ASPAMNEWS)- Depuis le 26 mars dernier où les députés togolais ont adopté une nouvelle constitution selon laquelle le président sera désormais choisi « sans débat » par le Parlement réuni en congrès « pour un mandat unique de six ans », tout semble aller sens dessus dessous. Des dénonciations en passant par des arrestations arbitraires jusqu’au report des élections législatives et régionales à une date ultérieure, l’on se demande ce qui se passe réellement dans ce petit rectangle de pays.

Alors que les différents états-majors des partis politiques avaient affûté leurs armes pour démarrer la chasse aux voix, ce jeudi, ce dans le cadre des prochaines élections législatives et régionales, Faure Gnassingbé refroidit toutes les ardeurs.

Si une partie de l’opposition n’en décolère pas, considérant ce report cavalier et entrant dans le cadre de l’agenda politique du pouvoir, en face, l’option du chef de l’Etat est applaudie, car devant permettre aux uns et aux autres de mener des «consultations» beaucoup plus larges sur l’initiative venue de certains députés de donner un coup de neuf à la constitution.

Ainsi, le nouveau texte voté par 89 élus et qui doit faire basculer le Togo dans la 5e République, le faisant passer d’un régime présidentiel à un régime parlementaire, retourne à son port de départ.

Pourtant, cette constitution va renforcer les pouvoir des institutions comme le Parlement. Car, la tâche reviendra, avec la nouvelle loi fondamentale, à l’Assemblée nationale et au Sénat de désigner le président de la République, qui devient une sorte de roi d’Angleterre, et le président du Conseil des ministres qui détiendra la réalité du pouvoir.

Mais, face au rejet de cette réforme par des opposants et des représentants de la société civile, et sans doute avec le poids de la religion catholique dont les évêques lui ont demandé de ne pas promulguer la nouvelle constitution, le chef de l’Etat togolais l’a renvoyée, en seconde lecture, devant l’Assemblée nationale, haut-lieu des débats politiques s’il en est.

Le pays et ses politiciens, ont la tête déjà plongée dans des régionales et surtout des législatives qui doivent permettre de renouveler l’hémicycle un peu trop monocolore, c’est-à-dire aux couleurs de l’UNIR, le parti au pouvoir. De plus, le mandat des élus actuels a échu en décembre dernier.

Pourtant, l’Afrique ayant une culture prononcée des résolutions de crises par le dialogue, c’est sous l’arbre à palabres que la plupart des problèmes trouvent solution. Malheureusement, tout cela intervient après des marches réprimées par des forces de l’ordre qui trouvent ainsi l’opportunité de se dérouiller les muscles et de tester leurs grenades lacrymogènes et gourdins!

Parfois, les balles réelles se confondent aux balles blanches et bonjour les dégâts irréparables. Raison pour laquelle il urge de tourner le dos aux démons de la violence et de donner toute la place aux débats dans le cadre plus indiqué de l’Assemblée nationale où le peuple a ses représentants.

Mais autant les populations doivent parler le langage de la non-violence, autant les gouvernants ont l’impérieux devoir de maintenir le cap de la cohésion nationale et de la paix sociale. Il urge donc que, dans l’intérêt national, toutes les parties sachent raison garder, afin que cette nouvelle constitution qui, en principe affaiblit le roi et renforce le pouvoir du peuple, ne soit pas source de division pour un Togo où tous ont droit au bon vivre.

Mais peut-on actuellement parler du bon vivre? La situation que vivent actuellement certains acteurs politiques laissent à désirer, surtout avec des arrestations tout azimut. En effet, hier mercredi, neuf membres de la DMK ont été arrêtés par les forces de l’ordre et sécurité du régime en place.

Leur crime ? Avoir dénoncé la récente révision constitutionnelle survenue dans la nuit du 25 mars dernier à l’hémicycle. Selon Thomas N’soukpoè, porte-parole de la DMK, un premier groupe de membres a été appréhendé dans l’après-midi au marché d’Akodésséwa, dans le Golfe 1, alors qu’ils sensibilisaient la population à rejeter la nouvelle constitution du régime

Le deuxième groupe a été arrêté dans la nuit au domicile de la vice-présidente de la DMK, Mme Amouzou, alors qu’ils planifiaient des stratégies pour obtenir la libération de leurs camarades déjà détenus. Parmi les neuf militants arbitrairement arrêtés, on compte Paul Missiagbéto, Mme Alouzou, Mme Batale Véronique, Togbonous Espoir, Sodjavi Silvère, Wolou Obi, Soussoukpo Désiré, Adjossou Louis, et Kolani Douti. Ils ont été transférés au Service Central de Renseignements et d’Investigations Criminelles (SCRIC), où ils se voient refuser le droit aux visites.

Selon les sources officielles, ils sont accusés de diffusion de tract. Mais certains responsables politiques ont ouvertement dénoncé cette manière de faire des députés dont le mandat est expiré depuis l’année dernière.

Dans une lettre ouverte adressée au chef de l’État, le parti Santé du Peuple a catégoriquement rejeté la proposition de deuxième lecture de la loi portant révision de la constitution togolaise, émise par Faure Gnassingbé. Non seulement les députés actuels n’étaient pas éligibles à de tels privilèges, mais surtout qu’une modification de la Constitution de cette envergure, nécessitait une concertation nationale et un passage par une consultation référendaire.
Il était donc clair, selon les responsables du part Santé du Peuple, dans la présentation que dans le cas présent, le fond du texte n’était pas la préoccupation mais la procédure.

En conséquence, le parti Santé du Peuple, tient à faire remarquer qu’une deuxième lecture ne consisterait pas une solution au problème et demande donc que la proposition soit purement et simplement rangée et que le pays reprenne son cours normal.

Selon l’économiste togolais Prof. Kako Nubukpo, les députés ont pris le risque de conduire le pays dans une aventure dont l’issue pourrait être tragique. Le contexte dans lequel cette loi a été présentée et votée soulève bien des questions. Une Assemblée nationale dont le mandat a pris officiellement fin le 31 décembre 2023 peut-elle décemment porter un changement de la loi fondamentale à quelques semaines de nouvelles élections législatives, prévues le 20 avril 2024 ? Pour rappel, l’article 144 de la Constitution togolaise dispose qu’« aucune procédure de révision ne peut-être engagée ou poursuivie en période d’intérim ou de vacance ou lorsqu’il est porté atteinte à l’intégrité du territoire ».

Par ailleurs, Faure Essozimna Gnassingbé, l’actuel président, peut-il s’engager dans la voie de la promulgation d’une telle réforme d’ampleur pour le pays à moins d’un an de la prochaine élection présidentielle (février 2025) devant signifier pour lui, en cas d’élection, son dernier mandat de cinq ans ?

Instrumentalisation de la loi fondamentale ?

Reconnaissons que le contexte d’initiation de la proposition de loi est inopportun, au-delà même du débat légitime qui peut s’instaurer dans une population, sur la voie idoine de désignation de ses représentants. Faire voter aujourd’hui une modification de la loi fondamentale par des députés dont le mandat est expiré, revient à assumer le choix de la promotion d’intérêts privés et de la confiscation du pouvoir au détriment du bien commun et de l’intérêt général.

Une modification de cette ampleur de la Constitution du 14 octobre 1992, fondatrice de la IVe République togolaise, nécessiterait, à tout le moins, un débat public en prenant le temps de faire la pédagogie de la réforme, en prenant soin de consulter toutes les couches de la population et, enfin, en ne s’interdisant pas la voie de la procédure référendaire.

En donnant l’impression d’instrumentaliser la loi fondamentale qui est l’un des socles d’une société, à des fins d’appropriation privée du pouvoir politique, l’actuel chef d’État et l’actuelle Assemblée nationale dominée par l’Unir, prennent le risque de conduire le Togo dans une aventure dont l’issue pourrait être tragique.

Cette triple impasse, des points de vue du principe, du droit et de l’opportunité, pourrait ôter aux institutions exécutives et législatives la confiance indispensable au bon exercice de leurs missions respectives. Elle pourrait en outre conduire à la démonétisation de toutes les initiatives prises en ce moment par le régime en place en matière économique et sociale. Elle pourrait enfin fragiliser l’unité nationale au moment où elle s’avère indispensable pour lutter contre les attaques. (DPH/2024)