PORT-AU-PRINCE, 12 AVRIL (ASPAMNEWS)-Haïti s’embourbe toujours plus dans l’insécurité avec la peur constante des gangs. Des humanitaires racontent comment la capitale haïtienne est devenue « une prison à ciel ouvert », dans un pays où « il n’y a plus de gouvernement, plus d’État ».
Un mois après l’annonce de la démission du Premier ministre contesté, les autorités de transition se font attendre et la population paie la longue crise politique et sécuritaire au prix fort. « On a une collègue qui a récemment voulu sortir de Port-au-Prince pour aller voir son fils en province. Elle s’est fait kidnapper pendant cinq jours », raconte Sarah.
Jameson Jacques a perdu ses parents lorsque des « bandits » – à savoir des membres de bandes armées – ont incendié sa maison. Depuis, il vit avec ses enfants dans un abri de fortune à Port-au-Prince, en grande partie contrôlée par les gangs.
Cependant, les responsables politiques haïtiens tenteront d’installer ce vendredi 12 avril un « Conseil de transition présidentiel » pour mettre fin à la loi des gangs qui gangrènent le pays. Un projet qui se heurte à une série d’obstacles d’ordre politique et sécuritaire.
La relève politique et institutionnelle est censée arriver ce vendredi 12 avril. Une semaine plus tôt, les responsables politiques haïtiens se sont accordés sur la formation d’un Conseil de transition présidentiel de vingt-deux mois, qui sera chargé de restaurer l’ordre dans ce pays des Caraïbes en proie au chaos et la violence des gangs.
« Ce sera très laborieux d’y parvenir, pour des raisons à la fois politiques, pratiques et sécuritaires », souligne Jacques Nesi, politologue à l’université des Antilles et chercheur associé au Laboratoire caribéen de sciences sociales.
La main donnée aux partis
Le chercheur haïtien fait valoir que les sept membres votants de ce collège sont des représentants de partis qui ont exercé des responsabilités ces dix dernières années, qu’il s’agisse d’Engagés pour le développement (EDE) de l’ancien premier ministre Claude Joseph ou de la formation de Jovenel Moïse, président assassiné en juillet 2021.
Les deux représentants du secteur privé et de la société civile, eux, sont réduits à la qualité d’observateur. « L’enjeu pour les partis est de capter le pouvoir à leur avantage et de se mettre en position de gagner de futures élections, pas vraiment de remettre l’État sur les rails », explique l’expert, même si les membres du collège ne peuvent pas être eux-mêmes candidats.
Ces derniers, âgés d’au moins 36 ans, auront en effet pour obligation d’avoir résidé en Haïti au cours des cinq dernières années. « Cela met hors jeu tous les Haïtiens de la diaspora, alors qu’une grande quantité de cadres formés du pays ont fui à l’étranger », regrette Jacques Nesi.
D’anciens membres de gouvernement exilés, pour leur part, font tout pour retarder la mise en place du conseil de transition, en demandant par exemple une commission de transition, ou le respect de la Constitution.
Pourtant, les institutions sont à terre : Haïti n’a plus de président de la République, plus de Parlement en exercice, et plus de premier ministre depuis la démission forcée d’Ariel Henry, le 11 mars dernier. Les dernières élections, elles, remontent à 2016.
Les gangs, une politique du chaos
Pour compliquer cet imbroglio, les gangs qui minent le pays ont fait cause commune autour d’une coalition cyniquement baptisée « Vivre ensemble ». Ils tentent eux aussi de se constituer en pouvoir politique, dans le but de préserver leurs activités criminelles.
« Ils veulent installer Guy Philippe, un mercenaire qui a participé au coup d’État contre l’ancien président en exil Aristide. Il est condamné à de la prison aux États-Unis pour trafic de drogues, il est revenu il y a six mois pour devenir président de la République », indique le politologue.
Reste donc à savoir comment la sécurité d’un quelconque conseil de transition pourrait être assurée, alors que les bandes contrôlent 80 % de la capitale, Port-au-Prince, ainsi que les axes routiers.
Le Palais national, où le nouveau conseil voudrait s’installer, a été attaqué à plusieurs reprises ces dernières semaines par les gangs. La police, dépassée, aurait besoin des renforts promis par le Kenya, le Salvador ou le Bénin, mais pour cela il faudrait que l’aéroport international, fermé pour raisons de sécurité, puisse rouvrir ses portes.
« Il n’y a que les États-Unis qui puissent décider d’une première opération pour déblayer le terrain, mais la proximité des élections américaines en novembre prochain rend l’administration Biden hésitante à s’engager », conclut Jacques Nesi.
Ce n’est qu’à cette condition que le « Conseil national de sécurité » prévu par l’accord pourrait faire son entrée. Ce dernier, formé par des experts, sera censé superviser l’aide internationale et l’envoi d’une mission soutenue par l’ONU.
En attendant, les souffrances des Haïtiens, privés de carburant et de médicaments, exposés aux enlèvements, s’accentuent chaque jour, face à des gangs qui n’hésitent plus à piller les conteneurs de denrées destinées aux supermarchés. Selon l’ONU, la moitié des 11 millions d’habitants sont maintenant menacés de famine. (SPG/2024)