NOUMEA, 17 MAI (ASPAMNEWS)-La Nouvelle-Calédonie connaissait “une situation plus calme” ce vendredi, selon les autorités locales. Plusieurs quartiers de l’agglomération de Nouméa restent encore hors de contrôle et l’État va tenter de les “reconquérir”. L’état d’urgence a permis de retrouver une situation plus calme et apaisée dans le grand Nouméa, malgré les incendies d’une école et de deux entreprises. Cependant, cinq personnes, dont deux gendarmes ont perdu la vie depuis le début des émeutes sur le Caillou, en révolte contre la réforme électorale.
Il y a encore quelques points d’affrontement et d’inquiétude à Nouméa, mais sur l’ensemble du territoire de l’agglomération on a constaté un retour au calme », explique, dans son point presse quotidien de ce vendredi, le Haut-commissaire de la République en Nouvelle-Calédonie, Louis Le Franc. »Des renforts vont arriver (…) pour contrôler les zones qui nous ont échappé ces jours derniers”, a déclaré devant la presse à Nouméa Louis Le Franc, Haut-commissaire de la République sur ce territoire français du Pacifique.
Le Franc se veut rassurant. « Des renforts vont arriver […] pour contrôler les zones qui nous ont échappé ces jours derniers, dont le contrôle n’est plus assuré », a-t-il déclaré, évoquant des zones où il y a « plusieurs centaines d’émeutiers, qui attendent le contact avec les forces de l’ordre, pour maintenir leurs positions ».
Ils doivent permettre de “reconquérir tous les espaces de l’agglomération (de Nouméa) que nous avons perdus, et qu’il nous appartient de reprendre”, a-t-il poursuivi.
Le représentant de l’État a évoqué “trois zones”, des quartiers défavorisés du grand Nouméa, peuplés majoritairement de Kanak: Kaméré, Montravel et une partie de “la Vallée du Tir” où des “centaines d’émeutiers” recherchent selon lui “le contact avec les forces de l’ordre” et poursuivent leurs “exactions”.
Dans un communiqué publié quelques heures auparavant vendredi matin, le Haut-commissariat s’était voulu plus rassurant.
Situation plus calme
“L’état d’urgence a permis, pour la première fois depuis lundi, de retrouver une situation plus calme et apaisée dans le grand Nouméa, malgré les incendies d’une école et de deux entreprises”, affirmait-il.
La nuit de jeudi à vendredi a été “marquée par l’arrivée des renforts envoyés” de l’Hexagone, a ajouté le Haut-commissariat. Le gouvernement avait annoncé quelques heures plus tôt l’envoi d’un millier d’effectifs de sécurité intérieure, en plus des 1700 membres des forces de l’ordre déjà sur place.
L’armée s’est également déployée pour sécuriser les ports et l’aéroport du territoire désormais placé sous le régime de l’état d’urgence décrété par le gouvernement mercredi soir.
L’interdiction de rassemblement, de transport d’armes et de vente d’alcool, ainsi que le couvre-feu de 18h00 à 06h00 restent en vigueur.
Le procureur de la République de Nouméa Yves Dupas, au cours du journal télévisé de Nouvelle-Calédonie la 1ere, a affirmé que 163 individus ont été placés en garde à vue depuis le début des émeutes sur l’archipel, le 12 mai dernier. Elles ont donné lieu «à une exploitation, à une analyse et à une décision du parquet d’organiser 26 déferrements», poursuit le magistrat. Il a également affirmé que certains déferrements n’ont pu être réalisés en raison des risques d’intrusion dans un commissariat de police. «Nous avons quatre procédures criminelles en cours», a ajouté Yves Dupas.
Le procureur de la République de Nouméa a également signalé l’ouverture d’une «enquête susceptible de concerner des commanditaires» des violences et vise «notamment des membres de la CCAT».
Un suspect s’est rendu
M. Le Franc a ajouté qu’un suspect d’homicide s’était “rendu”, sans précision sur son identité ni sur l’affaire concernée. Cinq personnes sont mortes depuis le début des émeutes lundi: deux hommes de 20 et 36 ans, une adolescente de 17 ans et deux gendarmes.
Le premier gendarme, âgé de 22 ans, avait été atteint d’une balle dans la tête mercredi. Le second, âgé de 45 ans, a été victime d’un “tir accidentel” jeudi matin, selon le ministre de l’Intérieur Gérald Darmanin.
Il n’y a en revanche eu ni interpellation, ni gendarme blessé dans la nuit de jeudi à vendredi en “zone gendarmerie”, c’est-à-dire hors de Nouméa, a annoncé la gendarmerie qui comptabilise depuis lundi 66 blessés dans ses rangs. 56 interpellations ont été comptabilisées, selon la même source.
Vendredi matin, le garde des Sceaux Eric Dupond-Moretti a publié une circulaire appelant “une réponse pénale empreinte de la plus grande fermeté à l’encontre des auteurs des exactions perpétrées”, dénonçant des “atteintes graves à l’ordre public entraînant un péril imminent”.
Gabriel Attal va recevoir à Matignon, avec Gérald Darmanin vendredi à 18H30 heure de Paris, les comités de liaison parlementaires sur la Nouvelle-Calédonie pour un “échange” sur la crise.
Avant cette réunion, Gabriel Attal devait présider à 08h00 une troisième cellule interministérielle de crise.
Après l’annulation d’une visioconférence entre le président Emmanuel Macron et les élus calédoniens jeudi, le président espérait pouvoir échanger séparément avec eux vendredi.
Temps de “deuil”
Dans l’agglomération de Nouméa, ces dernières nuits, certains riverains ont érigé des barricades de fortune faites de palettes de bois, bidons et autres brouettes, sur lesquelles ils ont planté des drapeaux blancs.
La Cellule de coordination des actions de terrain (CCAT), la frange la plus radicale des indépendantistes accusée par le gouvernement d’avoir attisé les émeutes, a publié un communiqué vendredi pour demander “à chacun de respecter le temps du deuil”, à savoir “un temps d’apaisement pour enrayer l’escalade de la violence”.
Sur la radio RFI, Rock Haocas, un membre de la CCAT, a assuré que son organisation “n’a pas appelé à la violence et n’a pas appelé à la destruction”, attribuant ces émeutes à une “population majoritairement kanak marginalisée” à Nouméa.
Gérald Darmanin a par ailleurs dénoncé l’ingérence de l’Azerbaïdjan, où plusieurs leaders indépendantistes calédoniens se sont déplacés ces derniers mois. Des accusations “infondées”, selon Bakou.
En Nouvelle-Calédonie, le réseau social TikTok, utilisé par les émeutiers, est banni jusqu’à nouvel ordre. C’est essentiellement l’agglomération de Nouméa qui a été la proie des violences.
Ces émeutes ont déjà causé pour 200 millions d’euros de dégâts, selon des estimations locales. Le ministre de l’Economie, Bruno Le Maire, a indiqué qu’il réunira les assureurs “la semaine prochaine” afin de “garantir une indemnisation rapide et juste”.
Files d’attente
A Nouméa, les pénuries alimentaires provoquaient de très longues files d’attente devant les magasins.
“En lien avec le gouvernement de la Nouvelle-Calédonie, l’Etat se mobilise pour apporter le soutien à la population et organiser l’acheminement des produits de première nécessité”, a assuré vendredi matin le Haut-commissaire Louis Le Franc.
Les autorités préparent un “pont aérien” entre l’Hexagone et son archipel, séparés de plus de 16’000 km. L’aéroport international de Nouméa reste lui fermé aux vols commerciaux jusqu’au 21 mai, a annoncé la compagnie locale Aircalin.
Les députés ont adopté dans la nuit de mardi à mercredi à Paris la réforme constitutionnelle qui a mis le feu aux poudres.
Ce texte devra encore être voté par les parlementaires réunis en Congrès, sauf si un accord sur un texte global entre indépendantistes et loyalistes intervient avant.
Le texte voté vise à élargir le corps électoral aux élections provinciales, cruciales sur l’archipel. Les partisans de l’indépendance estiment que cette modification risque de réduire leur poids électoral et marginaliser “encore plus le peuple autochtone kanak”.
Pénuries alimentaires, de médicaments et de sang
«Aujourd’hui, à la différence d’hier, c’est qu’on est dans un compte à rebours pour l’approvisionnement en médicaments et en produits alimentaires. Si ce n’est pas le cas, certains vont mourir». En conférence de presse jeudi, le haut-commissaire de la République Louis Le Franc avait mis en garde contre la dégradation des services sanitaires, alors que la Nouvelle-Calédonie est en proie à de violentes émeutes depuis lundi.
Difficile de passer à côté des images de voitures et d’infrastructures brûlées, des commerces et supermarchés pillés, des files d’attente qui s’allongent devant les pharmacies… Et devant les rares magasins de Nouméa qui n’ont pas été ravagés par les flammes ou pillés, les files d’attente ne cessent de s’allonger.
«Cela fait plus de trois heures qu’on est là», soupirait Kenzo, 17 ans, en quête de riz et de pâtes. «Comme tout le monde, on prend notre mal en patience», commente-t-il, fataliste. «On fait avec le strict minimum que l’on a», reconnaît le salarié d’une grande surface aux rideaux de fer tirés, qui fait entrer les clients au compte-gouttes. «On devait recevoir un gros stock mardi, mais nous ne l’avons pas eu».
Selon le président de la Chambre de commerce et d’industrie (CCI) de Nouvelle Calédonie, David Guyenne, les violences ont «anéanti» 80% à 90% de la chaîne de distribution commerciale (magasins, entrepôts, grossistes) de la ville.
Le président de la commission médicale de l’hôpital de Nouméa, Thierry de Greslan, s’est inquiété vendredi des difficultés d’accès aux soins engendrées par la situation de « guérilla urbaine » qui règne dans certains quartiers.
« Trois ou quatre personnes seraient décédées [jeudi] par manque d’accessibilité aux soins », en raison notamment de barrages érigés dans la ville, a-t-il avancé. Ce chiffre n’est qu’une « estimation, qui est très difficile [à établir] », mais « il y a des dégâts collatéraux terribles », a-t-il ajouté, évoquant notamment des patients qui n’ont pu avoir accès à leur dialyse depuis lundi.
Les équipes médicales doivent faire face à « une situation de guérilla urbaine, avec son lot de blessés par balles » et de « fractures traumatiques », a-t-il poursuivi. Thierry de Greslan a aussi dit s’inquiéter du risque de « pénurie majeure de médicaments », notamment à la suite de l’incendie d’un entrepôt où étaient stockés les médicaments destinés aux pharmacies du territoire.
Afin d’éviter cette pénurie, les autorités de Nouvelle-Calédonie ont annoncé, vendredi, plusieurs mesures visant à libérer les grands axes routiers pour une opération de « ravitaillement ». (CLH/2024)