TEHERAN, 9 JUILLET (ASPAMNEWS)-L’élection du réformateur Masoud Pezeshkian, source d’espoir pour la société iranienne et pour les partenaires internationaux de Téhéran, n’a pas fait baissé la détermination des réfugiés politiques qui s’opposent toujours au régime. Pourtant, il s’est dit déterminé à sortir le pays de son isolement, notamment en relançant le processus de négociation de l’accord sur le nucléaire iranien.
Organisée à la suite de la disparition du précédent président, Ebrahim Raïssi, dans un accident d’hélicoptère en mai dernier, cette élection est source d’espoir à la fois pour la société iranienne et pour les partenaires internationaux de l’Iran. Chirurgien de formation, ministre de la santé sous l’ancien président réformateur Mohammad Khatami au début des années 2000, cet homme de 69 ans a été élu sur deux séries de promesses : améliorer le niveau de vie des Iraniens en obtenant des Etats-Unis la levée des sanctions contre l’Iran, et assouplir les restrictions sociales qui empoisonnent la vie des femmes.
Ce scrutin à deux tours a néanmoins donné l’occasion aux Iraniens de manifester leur mécontentement à l’égard du régime, d’abord en suivant massivement au premier tour une consigne de boycott de l’opposition : 60 % des électeurs inscrits sont restés chez eux. Puis, voyant le candidat réformateur en tête le soir du premier tour, un certain nombre de ces abstentionnistes ont décidé d’aller voter au second tour pour lui donner une chance d’être élu, portant la participation à quasiment 50 %.
Pourtant, discours réformistes de Massoud Pezeshkian, sa « main tendue » aux Occidentaux et l’appel des médias iraniens à l’unité n’ont pas convaincu les opposants et réfugiés politiques. Son élection est même selon eux le symbole d’un régime autoritaire qui n’a pas changé depuis 45 ans.
« Chaque fois que le régime est dans l’impasse, (le Guide suprême) Khamenei cherche à ouvrir les relations diplomatiques avec l’Occident en faisant élire des réformateurs », explique Zana Saeedzadeh, journaliste et militant politique qui a subi des pressions de la part du régime islamique pour avoir couvert le mouvement « Femme, Vie, Liberté ». Pour cet Iranien de 33 ans, arrivé en France au début de l’année, Massoud Pezeshkian n’aura « qu’un rôle d’agent et d’exécutant des politiques générales du régime définies par Ali Khamenei ».
Répression féroce des femmes
M. Pezeshkian pourra-t-il réellement changer la vie de ses concitoyens, dans un régime dominé par la faction dure, où le Guide suprême, l’ayatollah Ali Khameini, détient la clé du pouvoir ? Candidat, il s’est dit déterminé à faire bouger les choses, avec un impératif : sortir le pays de son isolement.
Pour obtenir la levée des sanctions qui étouffent l’économie iranienne, il doit d’abord réengager sérieusement Téhéran dans le processus de négociation de l’accord sur le nucléaire iranien, signé en 2015 avec les Etats-Unis, le Royaume-Uni, l’Allemagne, la France, la Russie et la Chine, mais moribond depuis que le président Donald Trump en a sorti les Etats-Unis en 2018.
Masoud Pezeshkian a nommé à cet effet comme conseiller diplomatique Mohammad Javad Zarif, l’ancien ministre des affaires étrangères qui avait négocié la conclusion de cet accord avec les Occidentaux.
Le président et son équipe siègent aussi au sein du Conseil suprême de la sécurité nationale, qui définit les grandes lignes stratégiques. Certes, c’est bien le Guide suprême qui a la haute main sur ces questions, mais les experts s’accordent à dire que, si le président lui présentait la perspective d’un nouvel accord, il serait preneur au vu des bénéfices économiques que l’Iran pourrait en tirer. Encore faudra-t-il, pour que cette hypothèse ait une chance de se réaliser, qu’une administration démocrate se maintienne au pouvoir à Washington.
Sur son autre série de promesses, le président Pezeshkian est tout aussi attendu. Les restrictions vestimentaires telles que l’obligation du port du voile sont certes imposées par la loi, mais le président est chargé de leur application.
Elu au terme de deux années de répression féroce des femmes sortant la tête découverte et de ceux qui les soutiennent, le nouveau président s’est engagé à s’opposer à la police des mœurs et à l’application de ces mesures par la force. Il appartiendra à ses interlocuteurs occidentaux de lui rappeler cet engagement, s’il ne l’a pas mis en œuvre, dans l’éventualité où des progrès seraient réalisés sur la voie de l’accord sur le nucléaire.
Un appel au boycott réussi
Ancien enseignant et journaliste en Iran, Diako Alavi a, lui, été arrêté en janvier 2023. « Je suis connu pour mes activités civiles et mon implication dans le syndicat des enseignants », confie l’homme de 35 ans qui dit avoir vécu à Saghez, la ville natale de Mahsa Amini.
Déjà interpellé en 2012 et 2017, le militant décide de fuir le pays, d’abord en Turquie pendant trois mois, avant d’arriver à Strasbourg. Même s’il est loin de son pays, Diako Alavi a appelé au boycott du scrutin iranien : « Aujourd’hui, une grande partie de la société a conclu que la voie du changement ne passe pas par des élections organisées par la République islamique. »
Ce boycott s’est vérifié aux urnes. Au premier tour, 60 % des électeurs se sont abstenus, et la moitié au second tour. « Grâce à des rapports et des documents, nous savons que les chiffres annoncés par le régime sont bien loin de la réalité », accuse Mohsen Sohrabi.
Arrivé en France il y a moins d’un an, le jeune Kurde de 29 ans parle dans un très bon français. Médecin généraliste en Iran, il a fondé lors des manifestations « Femme, Vie, Liberté », le collectif « Volunteers doctors of Kurdistan », pour soigner clandestinement les blessés.
« Nous essayons de nous organiser »
Dans ce contexte de crises politique, économique et environnementale, la répression, elle, s’accentue. Quelques jours avant le second tour, Sharife Mohammadi, une militante et opposante au régime a été condamnée à mort. Dans les rues, les arrestations brutales contre les Iraniennes n’ont jamais cessé. Mais dans ce brouillard, une lueur d’espoir apparaît pour les opposants.
Havri Yousefi, journaliste, a dû fuir son pays pour se réfugier au Kurdistan irakien, puis a obtenu l’asile en France en juin 2023. Selon lui, « en plus du rôle central des femmes, des jeunes et des étudiants, la contestation englobe une variété de mouvements sociaux, y compris les enseignants, les ouvriers et les minorités opprimées comme les Kurdes, les Baloutches et les Arabes. Tout cela a créé une unité au sein de ces mouvements qui n’avait pas été observée dans les manifestations précédentes. »
Depuis 2022, le nombre de réfugiés politiques a fortement augmenté, obligeant les principaux concernés à trouver d’autres manières de se faire entendre. En raison de ses activités journalistiques, Sama, qui vit actuellement à la Maison des journalistes à Paris, a dû quitter précipitamment ses proches.
« Comme beaucoup d’activistes et opposants iraniens en exil, je me considère comme une réfugiée politique, confie la journaliste kurde. Nous participons souvent à des échanges internationaux pour partager nos idées et nous collaborons avec des ONG afin de sensibiliser la communauté internationale aux problèmes de l’Iran. »
Grâce aux réseaux sociaux et aux divers moyens de passer sous les radars de la surveillance du régime iranien, Zana, Mohsen, Sama, Havri et Diako continuent de rester en contact avec l’intérieur du pays.
« Nous essayons de nous organiser et de nous structurer », annonce Mohsen Sohrabi. Pour Diako, l’organisation de l’opposition iranienne en exil est l’un des principaux problèmes. « Nous parlons, nous nous rencontrons, nous faisons campagne, mais rien ne semble réellement efficace », lance l’opposant. L’ancien enseignant n’a pas peur de le dire : « Je pense que quitter l’Iran était une erreur. C’est là que se trouve le champ de bataille. » (YBH/2024)