MOSCOU, 19 JUILLET (ASPAMNEWS)-16 ans de prison. C’est la peine exorbitante dont écope ce vendredi 19 juillet le journaliste américain Evan Gershkovich, accusé d’espionnage par les autorités russes, soit deux années de moins que ce qu’avait requis ce vendredi matin l’accusation.
En effet, un tribunal russe a condamné ce vendredi 19 juillet le journaliste américain à 16 ans de prison, marquant la fin d’un procès expéditif à huis clos pour «espionnage», une accusation jamais étayée par la Russie. Sa condamnation était une condition préalable à un possible échange de prisonniers avec Washington, car Moscou n’échangeant des détenus que s’ils sont condamnés.
Vladimir Poutine a mentionné à plusieurs reprises que Moscou et Washington étaient en contact «permanent» sur le dossier, et qu’il était disposé à échanger le journaliste contre Vadim Krasikov, emprisonné à vie en Allemagne pour l’assassinat d’un ancien commandant de la guerre de Tchétchénie, à Berlin, en 2019. La condamnation du reporter était une condition préalable à un possible échange de prisonniers. En attendant, il devra purger sa peine dans une colonie pénitentiaire à régime sévère.
Le journaliste américain Evan Gershkovich est apparu devant la presse avant l’énoncé du verdict, les bras croisés, le crâne rasé — une coupe imposée aux prisonniers — dans le box en verre réservé aux accusés. Il a plaidé non coupable et exercé son droit à une «dernière prise de parole» avant le verdict, avait annoncé plus tôt à la presse une porte-parole du tribunal, Ekaterina Maslennikova.
Le parquet avait requis 18 ans de prison. S’il fait appel et que sa condamnation est confirmée, il devrait ensuite rejoindre sa colonie pénitentiaire dans la foulée, lors d’un transfert qui peut mettre plusieurs jours, voire plusieurs semaines.
Le Wall Street Journal a fustigé la condamnation « scandaleuse », qui « survient alors qu’Evan a passé 478 jours en prison, détenu à tort, loin de sa famille et de ses amis (…) tout cela pour avoir fait son travail de journaliste », selon des propos de responsables du journal dans un communiqué, s’engageant à continuer à se battre pour obtenir sa libération.
La condamnation est «un autre exemple flagrant de prise d’otage inacceptable de la part de la Russie», a dénoncé de son côté l’ONG Reporters sans frontières. «La condamnation (…) résulte d’un procès qui ne peut en aucun cas être considéré comme équitable ou libre. Ce verdict doit être immédiatement annulé», a ajouté Rebecca Vincent, directrice des campagnes de RSF, dans un communiqué.
Tueur russe
Reporter reconnu pour son professionnalisme, Evan Gershkovich avait été arrêté fin mars 2023, alors qu’il était en reportage à Ekaterinbourg (Oural), pour «espionnage», une accusation que la Russie n’a jamais étayée et que le journaliste, sa famille, ses proches ainsi que la Maison Blanche rejettent.
Le Kremlin a une fois encore refusé vendredi de spécifier ses accusations : «Les accusations d’espionnage sont une chose très sensible, nous ne pouvons pas faire d’autres commentaires, le procès est en cours», a éludé le porte-parole de Vladimir Poutine, Dmitri Peskov.
Le procès de Evan Gershkovich, après 16 mois de détention, aura été expéditif : une audience le 26 juin, une autre jeudi et enfin celle de ce vendredi. Toute la procédure a été placée sous le sceau du secret et rien n’a filtré du huis clos imposé par les autorités. Il s’agit donc d’une procédure express, car les procès de ce type s’étalent d’ordinaire sur plusieurs semaines ou mois.
Echange de prisonniers
Pour Washington, son arrestation a visé avant tout à monnayer un possible échange de prisonniers, en pleine tension entre la Russie et les Etats-Unis liée au conflit armé en Ukraine. Moscou a admis négocier sa libération et le président russe Vladimir Poutine a évoqué lui-même le cas de Vadim Krassikov, en prison en Allemagne pour un assassinat commandité attribué aux services spéciaux russes.
Le journaliste communique néanmoins avec sa famille et ses amis via des lettres lues et censurées par l’administration pénitentiaire. Dans ces courriers, il dit garder le moral, attendre sa condamnation, vouloir voir le ciel plus souvent, le tout avec des traits d’humour. Enfant d’immigrés ayant fui l’URSS pour les États-Unis, Evan Gershkovich s’était installé en Russie en 2017.
Rappelons que reporter de 32 ans, accrédité auprès de toutes les instances officielles en tant que correspondant du Wall Street Journal, a été interpellé en mars 2023 et accusé de collecter des informations sensibles pour le compte de la CIA, en prenant «des mesures de secret minutieuses». Selon le FSB, le journaliste a été arrêté «alors qu’il tentait d’obtenir des informations classifiées».
Peu avant son arrestation, Gershkovich s’était rendu à Nijni Taguil, où se trouve le producteur de chars Uralvagonzavod, l’un des principaux fabricants d’armements du pays. Un député local, Vyatcheslav Vegner, avait raconté que le journaliste l’avait interrogé sur ce que les Russes pensaient de la société militaire privée Wagner et du travail des entreprises militaires.
Le photographe qui travaillait avec lui sur cette mission assure que le journaliste préparait un article sur la façon dont les habitants des régions russes perçoivent la guerre. Gershkovich n’a jamais reconnu sa culpabilité, insistant sur le fait que ses activités étaient purement journalistiques.
Le WSJ qualifie l’affaire de simulacre. Le président américain Joe Biden a pour sa part dénoncé l’arrestation du journaliste de «totalement illégale» et exigé plusieurs fois sa libération immédiate. (SLP/2024)