UKRAINE: Viktoriia Roshchina morte à 27 ans dans une prison russe

0 1 592

KIEV, 12 OCTOBRE (ASPAMNEWS)-Le Centre ukrainien de coordination pour le traitement des prisonniers de guerre a confirmé jeudi la nouvelle de la mort de Viktoriia Roshchina, 27 ans, reporter indépendante, collaboratrice des meilleures rédactions de Kyiv.

Elle était emprisonnée en Russie depuis plus d’un an. Elle avait disparu le 3 août 2023, après s’être rendue de son plein gré en reportage dans les territoires ukrainiens occupés, au péril de sa vie. C’est seulement en mai dernier que les autorités russes ont confirmé la détention de la journaliste en colonie pénitentiaire, à l’isolement.

Le père de Viktoriia Roshchina a reçu jeudi une lettre du ministère russe de la Défense, lui annonçant froidement que sa fille était morte le 19 septembre. Les circonstances exactes du décès sont encore à établir, mais d’après plusieurs sources officielles ukrainiennes, la journaliste était en cours de transfert d’une prison de Taganrog (Sud) à celle de Lefortovo, près de Moscou. Andrii Yusov, porte-parole du renseignement militaire ukrainien, confirme qu’elle était sur les listes pour les prochains échanges de prisonniers. Elle devait être libérée.

Grève de la faim

D’après son père, la jeune femme avait cessé de se nourrir depuis plusieurs jours. «Les grèves de la faim ont toujours été l’outil de protestation des dissidents ukrainiens au goulag, confirme le philosophe Volodymyr Yermolenko. 

Quand ils étaient impuissants dans les camps, c’était leur dernier mode d’action possible. La différence entre les époques, c’est que l’URSS craignait d’avoir mauvaise réputation à l’étranger. La Russie d’aujourd’hui s’en moque et fait preuve d’une cruauté pire encore qu’à l’époque soviétique.» Début septembre, Viktoriia aurait été aperçue par une codétenue, avec juste la peau sur les os.

Originaire du sud de l’Ukraine, Viktoriia Roshchina avait commencé sa carrière en 2014, publiant ses enquêtes sur les scandales de corruption et autres affaires dans les meilleurs médias indépendants de Kyiv : Hromadske, Slidstvo, Ukrainska Pravda… 

«Avec Vika, ce n’était jamais facile», racontent aujourd’hui plusieurs de ses anciens rédacteurs en chef, à qui elle donnait des sueurs froides, en raison de la dangerosité de ses enquêtes et reportages. En mars 2022, après le début de l’invasion russe, Viktoriia Roshchina était arrêtée une première fois par le FSB russe près de Berdyansk (Sud), alors qu’elle était sur le point de se rendre à Marioupol.

Documentation des exactions commises par les Russes

Libérée au bout de dix jours, la reporter avait immédiatement repris de manière monacale un travail de documentation des exactions commises par les forces d’occupation russes, dans les régions de Kherson, Zaporijia et Kharkiv, révélant l’identité de plusieurs auteurs de crimes de guerre, notamment de la milice Wagner.

En juillet 2023, contre l’avis de ses collègues, elle décidait de retourner dans le vortex, les territoires ukrainiens occupés de l’Est et du Sud, d’où quasi aucune information ne sort. Le 27 juillet 2023, elle quittait l’Ukraine pour la Pologne, puis la Russie. Son dernier message date du 3 août 2023.

Quatre ans plus tôt, Viktoriia Roshchina avait postulé à un programme français de formation en journalisme judiciaire, sa passion. «Nous devons écrire de manière objective, en entrant dans des détails souvent essentiels, en posant davantage de questions, en appelant les choses par leur nom, en expliquant des termes juridiques complexes dans une langue humaine, écrivait-elle alors dans sa lettre de motivation. Cela vaut la peine de parler à toutes les parties d’un procès, de ne pas avoir peur de poser des questions. Je rêve de rendre la couverture des procès en Ukraine plus professionnelle.»

«Désir fou d’exposer toutes les ordures et les salopards de ce monde»

Des mois durant, la jeune femme, timide, mais au caractère d’acier, avait appris les bases de la chronique judiciaire auprès de grands reporters français, comme Pascale Robert-Diard, du Monde, dont elle buvait les paroles en silence.

Dmytro Gnap, un de ses premiers rédacteurs en chef, à la télé Hromadske, se souvient de son «dévouement fanatique à son travail, sa capacité à ne pas se soucier de ce que les autres pensaient, son désir fou de punir, ou au moins d’exposer, toutes les ordures et les salopards de ce monde», et de son incapacité à s’entendre avec les gens, quant à sa volonté de risquer sa vie pour la justice, sans la moindre hésitation.

Viktoriia Roshchina est semble-t-il la seule professionnelle à avoir osé travailler dans les territoires occupés. «Je pense qu’elle ne pouvait pas faire autrement, les documents qu’elle y a rédigés sont inestimables, commente Nikita Galka, reporter à la télévision publique Suspilne. Les journalistes ne devraient pas être réduits en esclavage.

Existe-t-il des règles et des lois pour l’ennemi ?» Prix Nobel de la Paix en 2022, l’activiste des droits de l’homme Oleksandra Matviichuk pose une question : «Qu’ont-ils fait d’elle ? Qu’a-t-on pu faire à une jeune fille pour qu’elle meure ? J’appelle toutes les organisations journalistiques des différents pays à exiger officiellement une réponse de la Russie.» (SHP/2024)

Laisser un commentaire

Votre adresse email ne sera pas publiée.