ETATS-UNIS-PRESIDENTIELLE: des Irlandaises dans le Massachusetts et des mafieux dans le New Hampshire…

1 587

BOSTON, 21 OCTOBRE (ASPAMNEWS)- Une soirée de campagne américaine. Un spectacle politique fait de bons mots, d’improvisations, mais aussi d’analyses sérieuses, devant un public cultivé et acquis. Jeudi 17 octobre, la salle du théâtre des arts vivants à Philadelphie (Pennsylvanie) affichait complet pour un événement de résistance anti-Trump, organisé par le site conservateur The Bulwark. Sur scène, discutaient en toute complicité le vétéran Bill Kristol – qui fut longtemps l’incarnation des faucons néoconservateurs – ainsi que Sarah Longwell et Tim Miller, bons clients des chaînes d’information, nouvelle génération percutante et insaisissable entre expertise et militantisme.

Dans la salle, plus de deux cents personnes approuvaient les traits d’esprit contre l’ancien président, à nouveau candidat. Toutes ne venaient pas de cette Pennsylvanie si disputée, offrant dix-neuf grands électeurs à son vainqueur, le 5 novembre. Il y avait là aussi les passagers d’un bus s’apprêtant à parcourir l’Etat, avant de se rendre dans le Michigan.

Des passagers réunis par Republicans against Trump, une initiative portée par Sarah Longwell et financée par un comité d’action publique richement doté. Elle vise à diffuser les témoignages d’électeurs républicains ayant voté pour Donald Trump par le passé mais décidés aujourd’hui à lui faire barrage. Republicans against Trump consacre plus de 10 millions de dollars (9,2 millions d’euros) dans cette campagne à la seule Pennsylvanie.

Dans Bondrée, son dixième roman, la Québécoise Andrée A. Michaud évoque un paradis perdu en funambule gracieuse, entre roman d’apprentissage et roman à énigme, récit atmosphérique et suspense, galerie de portraits de femmes et requiem pour l’innocence fatalement torpillée. Le livre se déploie au rythme d’une enquête policière sur le meurtre dans les années 60 d’une jeune fille fofolle à Bondrée, lieu magique où des familles passent leurs vacances dans des chalets de bois au bord d’un lac aux confins du Maine et du Québec.

C’est une communauté, et plus largement une société qui surgit. Le témoin principal est une gamine à la lisière de l’adolescence, feu follet dont la curiosité et le sens de l’observation alimentent à la fois le tableau social et l’enquête, clairement le double de Michaud dans ce livre très autobiographique, d’après la postface – «ce lieu qui a marqué mon enfance et, de ce fait, ne pouvait devenir que lieu de fiction».

Avec son charme entêtant de rêverie toxique, Bondrée nous évoque Virgin Suicides. Des jeunes femmes trop libres et sacrifiées aux femmes au foyer vieillissantes et dépressives, il a une dimension de manifeste féministe, réquisitoire mélancolique. Face à l’immobilisme mortifère, il appelle à la liberté dans une langue métissée et joueuse, alliage de français, d’expressions québécoises, d’anglais, de franglais.

«J’aurais voulu qu’ils soient tous morts pour piétiner leurs cadavres.» C’est la narratrice qui parle, une jeune fille de 18 ans, Mary Katherine («Merricat») Blackwood. Sa sœur adorée, Constance, l’appelle souvent, affectueusement, «Petite folle de Merricat».

Mais ne l’est-elle pas effectivement, la sauvageonne qui n’aime rien tant que courir à travers champs avec son chat et, surtout, vivre barricadée avec ses sœurs aînées et oncle impotent dans «le château» (en réalité une grande bâtisse) de leur famille décimée par empoisonnement ?

Merricat s’imagine sorcière, ou alors cannibale, quand le cousin Charles débarque dans leur tanière de la Nouvelle Angleterre, et ses pensées tour à tour enfantines et assassines soufflent le chaud et l’effroi. Merricat est vive, drôle, paranoïaque, dangereuse, câline («J’aime bien ma sœur Constance, et Richard Plantagenêt, et l’amanite phalloïde, le champignon qu’on appelle le calice de la mort»), déscolarisée, cultivée, apeurée, téméraire. Et fascinante. 

Nous avons toujours vécu au château, publié initialement en 1962, est un roman noir gothique culte, salué entre autres par Joyce Carol Oates qui tient Shirley Jackson (1916-1965) pour une plume majeure. Un petit bijou à mi-chemin entre fantastique et horreur.

Les orgies d’Olivier Bal

Au cœur de la Nouvelle-Angleterre, le New Hampshire est un petit État aux grandes étendues sauvages et un refuge pour les riches Américains de la côte Est en quête de montagnes, de forêts, de lacs et de tranquillité.

C’est dans cet écrin de nature que Mike Stilth immense star de la chanson, a décidé de s’installer, à l’abri des regards, dans une somptueuse maison ultra-sécurisée pour élever ses enfants loin des paillettes et des caméras. C’est non loin de cette véritable forteresse qu’est repêché le corps de Clara Miller, une journaliste qui semblait s’intéresser d’un peu trop près aux orgies organisées derrière les hautes grilles de la propriété.

Paul Green, reporter et ancien camarade de Clara décide de mener l’enquête. Premier tome d’une trilogie mettant en scène Paul Green, l’Affaire Clara Miller explore une facette intéressante de l’Amérique contemporaine : la vie des célébrités surmédiatisées à la recherche de tranquillité et la manière dont elles tentent de préserver leurs enfants de tourbillon.

Passant du bling-bling du monde de la nuit aux vastes forêts verdoyantes, Olivier Bal explore les tourments de ses personnages dans un polar polyphonique très bien rythmé.

La mère courage de Dennis Lehane

Né et grandi à Boston, Dennis Lehane a fait de cette ville l’épicentre de son œuvre. La capitale du Massachusetts est en ébullition dans le Silence. On est en 1974, un juge fédéral a décidé la dé-ségrégation forcée des écoles publiques de la capitale du Massachusetts, en transférant quotidiennement en bus des enfants de quartiers (populaires) majoritairement blancs vers des quartiers (populaires) majoritairement noirs, et inversement.

Les habitants des quartiers blancs sont vent debout contre ce «busing», ils s’organisent, manifestent, violemment. Parmi eux, Mary Pat Fennessy, le personnage principal. Cette mère de famille de la classe ouvrière du quartier irlandais de South Boston, qui bricole son existence comme tout le monde, est naturellement, tranquillement raciste. Mais bientôt, elle voit ses repères et certitudes s’écrouler quand sa fille de 17 ans disparaît lors d’une soirée entre copains de «Southie».

Mary Pat va remuer ciel, terre et secrets pour retrouver sa Jules adorée, pour ouvrir des brèches dans le mur de silence que bétonnent les uns et les autres face à sa quête. Notamment la mafia irlandaise locale, qu’elle va défier : on pense à Peaky Blinders, et Mary Pat nous rappelle la mère inconsolable et vengeresse que joue Frances McDormand dans Three Billboards : les Panneaux de la vengeance. Son implosion et son équipée de mère justicière sont poignantes, avec des échos féministes.

Les parrains de Don Winslow

Avec la Cité en flammes, Don Winslow amorçait une nouvelle trilogie, après celle sur fond de cartels mexicains (la Griffe du chien, Cartel et la Frontière) qui a installé pour de bon l’ex-détective privé (mais aussi gérant d’une salle de cinéma, guide de safari…) dans le club des cadors du roman noir.

Ce premier pan a pour décor Dogtown et Providence, village et capitale de l’Etat du Rhode Island, dans le nord-est des Etats-Unis – où Don Winslow a grandi. Les pyromanes sont deux familles mafieuses, les Murphy, irlandais, et les Moretti, italiens. Jusque-là, ils se sont partagé le gâteau : le contrôle des docks et du business afférent pour les uns, le trafic de cigarettes, d’alcool et les jeux d’argent pour les autres.

Mais les parrains garants de l’entente cordiale vieillissent, et comptent parmi leurs rejetons des têtes brûlées (et cocaïnées) capables de prendre feu à la moindre étincelle. Par exemple l’irruption d’une femme renversante à un barbecue de fruits de mer.

Le personnage principal est un outsider, qui va monter en puissance : Danny Ryan, 29 ans, a épousé Terri, sœur de son meilleur ami et, surtout, fille du patriarche John Murphy. Par amour pour elle, à contrecœur, Danny a rejoint le syndicat. Mais la violence est une spirale qui gagne vite du terrain. Un polar dépouillé, ultraprécis et dénué de pathos, à l’entêtant goût de cendre. (SKG/2024)