PARIS, 28 NOVEMBRE (ASPAMNEWS)- Le président Bola Tinubu est accueilli jeudi 28 et vendredi 29 novembre à Paris pour une visite d’Etat, symbole de la réorientation de la politique française vers des géants du continent en dehors de la sphère francophone. Cette visite « retour », six ans après celle du chef d’État français à Abuja, incarne la volonté de la France de diversifier ses partenariats économiques en Afrique, au-delà des pays francophones ouest-africains, et de sortir du « tout-sécuritaire ».
Les relations internationales sont souvent définies comme s’il n’y avait que deux options possibles pour les Etats : dominer ou être dominé, asservir ou être asservi. Les nations sont censées se rallier à telle ou telle puissance, à tel ou tel bloc. La leçon que nous tirons de notre expérience de chefs d’Etat de deux pays dont les relations bilatérales ne cessent de s’approfondir depuis vingt-cinq ans est tout autre.
En ce qui nous concerne, nous pouvons dire assurément que notre relation prend la forme d’un partenariat d’égal à égal. Il est des moments dans l’histoire où les pays se laissent guider par des intérêts communs bien compris et reconnus par tous. La France et le Nigeria se trouvent aujourd’hui à ce moment crucial.
Avoir des intérêts en commun nous incite à travailler ensemble. Il est dans notre intérêt mutuel d’encourager l’investissement du secteur privé entre nos deux pays. Il est dans notre intérêt mutuel de développer les industries culturelles et créatives florissantes qui créeront des emplois pour les jeunes Nigérians et les jeunes Français.
Il est dans notre intérêt mutuel de faire en sorte que le golfe de Guinée soit sûr. Il est dans notre intérêt mutuel de renforcer nos systèmes alimentaires pour en assurer la stabilité et la sécurité, et qu’ils ne dépendent pas outre mesure des importations.
« La France veut échapper au poids de l’histoire coloniale et aux difficultés rencontrées dans son aire d’influence privilégiée », estime Jonathan Guiffard, chercheur à l’Institut français de géopolitique et à l’Institut Montaigne. « Notre relation avec l’Afrique ne se réduit pas au Sahel, explique une source proche du dossier. Aujourd’hui, nos relations avec le Burkina Faso, le Mali et le Niger sont quasi inexistantes. On essaie de circonscrire et d’agir ailleurs. »
« Des partenariats tous azimuts »
Depuis son premier mandat, Emmanuel Macron a voyagé dans une vingtaine de pays d’Afrique, dont de nombreux territoires non francophones tels que le Ghana (2017), le Nigeria (2018), l’Éthiopie (2019) et l’Afrique du Sud (2021).
« Depuis dix ans, nous avons développé des partenariats tous azimuts, dans la ligne droite du “renouveau” des relations avec l’Afrique », lance une source diplomatique française. En effet, les premiers partenaires commerciaux de la France en Afrique, le Nigeria et l’Afrique du Sud, ne sont pas francophones.
Pays le plus peuplé d’Afrique, 3e PIB du continent, le Nigeria attire 65 % des investissements directs étrangers (IDE) de la France en Afrique de l’Ouest. Outre le secteur pétrolier, où le groupe TotalEnergies est bien implanté, la centaine d’entreprises françaises investissent dans l’agroalimentaire, l’industrie pharmaceutique, les assurances, ainsi que les industries cinématographique et musicale, des vecteurs de dialogue.
Dans un pays où 70 % de la population a moins de 30 ans, les entreprises françaises, qui emploient quelque 20 000 Nigérians, misent sur la jeunesse. Ainsi, Danone a créé des institutions de formation professionnelle. Plus timides, les Nigérians commencent aussi à investir en France. Quatre banques nigérianes sont déjà implantées à Paris.
« En même temps »
Si le partenariat avec le Nigeria met l’économie et la culture au premier plan, le versant politique et stratégique demeure. « Abuja et Paris partagent des intérêts, notamment en ce qui concerne la stabilité de la sous-région, marquée par une situation politique dégradée au Sahel et l’entrisme russe, explique Jonathan Guiffard.
Après le coup d’État au Niger et la confrontation avec la Cedeao qui a suivi, le Nigeria est devenu un partenaire pivot dans le positionnement vis-à-vis des juntes. En outre, le pays, confronté à Boko Haram dans le Nord, répond à des problématiques antiterroristes. » Si « la coopération politique avec le Nigeria est ainsi plus substantielle qu’avec d’autres pays anglophones d’Afrique de l’Est », le chercheur y voit « le début de l’expansion vers les pays d’Afrique non francophones ».
Le ministre des affaires étrangères, Jean-Noël Barrot, a choisi l’Éthiopie pour sa première visite en Afrique subsaharienne. Il sera à Addis-Abeba vendredi. Emmanuel Macron doit se rendre début 2025 en Angola, sans que la date ait encore été fixée. Toujours dans cette optique, le prochain sommet Afrique-France aura lieu à Nairobi en 2026, une première dans un pays non francophone.
Toutefois, si cette relation avec le Nigeria incarne les « nouvelles approches partenariales » désirées par Paris, le chemin est encore long. « L’envie est là, mais la majeure partie des intérêts français, qu’ils soient politiques, économiques ou même intrapersonnels, reste en Afrique de l’Ouest », observe Jonathan Guiffard. « Nous explorons d’autres géographies tout en renouvelant nos relations avec les pays francophones », explique la source proche du dossier. (SGP/2024)