29 JANVIER (ASPAMNEWS)–Pour célébrer le premier anniversaire de la sortie des pays de la Confédération des États du Sahel ( AES) de la Cedeao, plusieurs organisations de la société civile se sont mobilisées sur le site historique de Kurukanfuga où les peuples du Mandé et alliés s’étaient rassemblés pour promulguer la Charte du Mandé. Tout un symbole puisqu’il s’agit d’un nouveau départ pour les trois pays (Burkina Faso, Mali et Niger) qui ont décidé d’unir leur destin face aux défis communs. Pourtant, lors des réunions de la CEDEAO de l’année 2023 sur les velléités des Etats de l’AES de quitter l’organisation, tout le monde presque se disait qu’ils n’allaient pas franchir le rubicond de claquer la porte de la maison communautaire. C’est plutôt acté!

Le départ de l’AES de la CEDEAO n’est plus une utopie, mais un choix délibéré et mûrement réfléchi des trois pays à travers leurs présidents : Ibrahim Traoré du Burkina Faso, Assimi Goïta du Mali et Abdourahamane Tiani du Niger, avec le soutien de leurs peuples. Le 28 janvier 2025 marque officiellement la fin du préavis d’un an prévu par le traité de la CEDEAO et par conséquent, le retrait définitif des trois pays de cette organisation.
Pour cobservateurs avertis, cette décision ne constitue aucunement une surprise. Les dirigeants concernés ont toujours affirmé son caractère irrévocable. À cette étape, l’histoire de ces deux organisations s’écrit avec une encre indélébile et restera gravée à jamais en lettre d’or dans les annales de l’Afrique et de la planète.
Ces trois pays tournent résolument le dos à une CEDEAO qui, en cinquante années d’existence, n’a pas su incarner une organisation défendant les intérêts de ses peuples. Au contraire, elle s’est révélée être un syndicat des chefs d’État, soutenant un système étranger aux peuples africains qui sert d’instrument de domination, d’exploitation et de pillage des ressources de l’Afrique.
« Il y a un an, nos trois pays, qui ne forment plus désormais qu’un, sous le leadership de leurs Excellences, le capitaine Ibrahim Traoré, le général Abdourahamane Tiani, et le général Assimi Goïta, répondant aux aspirations profondes des peuples de l’AES, ont assumé la décision courageuse et historique de quitter définitivement la CEDEAO.
Le capitaine Thomas Sankara avait dit que pour rompre le cordon de l’impérialisme, il ne faut pas se faire d’illusions : cela ne se fera pas par les tendres mains d’une sage-femme, mais par une hache et par un coup sec », a lancé le chef de l’Exécutif burkinabè, Jean Emmanuel Ouédraogo.
Ni le spectre du chaos et des désastres agités comme un épouvantail par des experts mentalement et intellectuellement aliénés, totalement aux intérêts occidentaux, ni les complots à ciel ouvert, ni les menaces n’ont réussi à infléchir la position de l’AES.
Ces pressions ont plutôt renforcé la détermination des peuples des trois pays à quitter une CEDEAO largement instrumentalisée par l’impérialisme à travers son représentant désigné qu’est Paris pour ses propres intérêts.
Le temps supplémentaire de six mois accordés pour un éventuel retour à la table des négociations a plutôt confirmé la justesse de leur décision. En regardant dans le rétroviseur, les conséquences annoncées comme catastrophiques se révèlent avoir été largement exagérées face aux bénéfices engrangés.
Si ces prédictions étaient fondées, pourquoi autant de médiations, de prorogations du préavis et de complots non déguisés ? Les faits auraient dû suffire à ramener les États à la raison.
Pour M. Ouédraogo, « le coup sec a été porté il y a un an par nos trois grands leaders historiques ».
« Aujourd’hui, la CEDEAO, ou ce qui reste de la CEDEAO, est derrière nous. Aujourd’hui, plus que jamais, le capitaine Ibrahim Traoré et ses frères, le Général Goïta et le Général Tiani, sont plus que jamais déterminés à mener ce combat historique jusqu’à la victoire totale », a-t-il avancé, rappelant que « vous avez été témoins de tout ce qui a été orchestré ces derniers jours. Je sais que vous savez lire entre les lignes. L’objectif était de nous affaiblir, de nous faire peur, mais partout où ils ont tenté, ils ont essuyé une défaite cuisante ».
« La CEDEAO, c’est l’une des cordes de notre asservissement qui a été coupée nette le 28 janvier 2024. Nous savons qu’il y a d’autres cordes qui restent, mais nos trois chefs d’État tiennent toujours la hache fermement. Cela signifie que toutes les cordes seront tranchées sans état d’âme. Donc, camarades, c’est un message de remobilisation », a-t-il lancé sous les cris des manifestants surexcités.
Les scénarios alarmistes prédits, notamment l’effondrement des économies, l’inflation exponentielle, les révoltes populaires n’ont été que des mirages. Et ce, malgré les sanctions inhumaines et les restrictions imposées par la CEDEAO. La résilience réussie des peuples de l’AES montre à souhait leur capacité et leur volonté à consentir le sacrifice nécessaire pour la conquête de leur souveraineté.
L’accompagnement attendu de la CEDEAO pour les pays confrontés au terrorisme n’a jamais été effectif, alors qu’elle était prompte à envoyer une force en attente pour bombarder le Niger et rétablir au pouvoir le valet attitré de leur maître. Au contraire, cette organisation s’est révélée être un obstacle, voire une menace, face à des dirigeants engagés dans la défense de leurs territoires et les intérêts de leurs peuples.
Les résultats parlent d’eux-mêmes : Burkina Faso contrôle plus de 70 % du territoire, contre seulement 30 % auparavant ; le Mali a repris de Kidal, autrefois bastion du terrorisme au Mali et plus largement au Sahel ; le Niger a un meilleur contrôle du territoire national.
Sur le plan économique, la dénonciation des accords de coopération néocoloniaux dans des domaines stratégiques comme la défense, l’économie et la diplomatie a permis de diversifier les partenariats, d’acquérir des équipements militaires adaptés et de tirer pleinement profit des ressources nationales.
Quant à la libre circulation des personnes et des biens, utilisée comme argument de pression, elle fonctionnait déjà mal avant. Les tracasseries routières étaient monnaie courante malgré la prétendue intégration régionale.
Pourquoi craindre de perdre ce qui n’a jamais été pleinement acquis ? D’ailleurs, la Mauritanie, sortie de la CEDEAO en 2000, n’a pas connu de difficultés majeures supplémentaires liées à ce retrait. Si elle s’en est sortie seule, que dire donc de trois pays unis et déterminés à se développer ?
Chacun assumant ses choix, l’AES reste désormais concentrée sur ses objectifs, articulés autour de trois axes : définir une politique diplomatique indépendante, bâtir un système de défense autonome et réaliser les investissements structurants pour leur développement, afin de garantir la satisfaction des aspirations légitimes des peuples et d’atteindre une souveraineté totale. Au demeurant, les populations doivent rester en alerte et s’attendre à tout, y compris au sacrifice ultime, car la lutte sera ardue.
En effet ni la souveraineté ni la liberté ne s’obtiennent sur un plateau d’argent. Les pays qui se sont véritablement affranchis du joug de leurs colonisateurs sont passés par des périodes critiques. L’Algérie et l’Afrique du Sud en sont des exemples éloquents. L’histoire des luttes pour la libération s’écrit souvent avec du sang et de la sueur.
Un divorce regrettable
Pourtant, lors des réunions (ministérielles et de Chefs d’Etat)de la CEDEAO de l’année 2023 sur les velléités des Etats de l’AES de quitter l’organisation, nous étions convaincus qu’ils n’allaient pas franchir le rubicond de claquer la porte de la maison communautaire et qu’ils allaient revenir sur leur volonté de se délier de l’organisation pour ne pas compromettre les acquis de plusieurs décennies de construction d’un modèle d’intégration, qui bien qu’imparfait, est bien meilleur que beaucoup d’autres expériences du genre sur le continent et dans le monde.
La lettre du Président de la Commission (Docteur Omar AlieuTouray) (en date du 13 janvier passé) adressée au ministre des affaires étrangères et de la coopération internationale de la République du Mali, (Abdoulaye Diop) l’invitant à engager les formalités de séparation à compter du 29 janvier 2025 nous ramène à la dure et douloureuse réalité de l’effectivité du divorce avec plein d’incertitudes qui concernera aussi le Niger et le Burkina Faso.
Réserves sur des divorces engagés par des régimes de transition
Malgré le respect qu’il convient d’accorder à cette séparation qui constitue un risque sur la viabilité de l’organisation et l’avenir de l’intégration en Afrique de l’Ouest et, au-delà, en Afrique, l’on peut s’interroger sur le bien-fondé de la décision de retrait d’une organisation régionale de la part d’Etats dont les autorités sont dépourvues de la légitimité du suffrage universel et n’ont pas pris l’initiative d’une ratification populaire d’un acte de cette envergure de désaffiliation affectant le destin d’une communauté, quoi qu’on en dise, soudée par l’histoire, la géographie, la culture, l’économie et un ambitieux droit qui définit les principes de convergence constitutionnelle régissant le mode de vie politique de cet espace ; une communauté de droit qui récuse et sanctionne audacieusement la prise de pouvoir par des moyens portant atteinte aux bases ontologiques de l’intégration.
La décision unilatérale des juntes militaires de délier leurs Etats de leurs obligations vis-à-vis de la CEDEAO, même si elle est, bien sûr, conforme aux principes régissant les organisations internationales (dénonciation) et au traité fondateur de la Communauté (retrait), elle pose un problème de légitimité quant à la validité procédurale et substantielle de la démarche, tant en droit international qu’en droit interne.
En effet, si, en droit international, l’effectivité du pouvoir peut parfois l’emporter sur la légitimité, en droit de l’intégration en revanche, on peut s’interroger sur l’admission automatique d’un retrait assumé par des autorités investies en violation des textes de la CEDEAO, notamment du Protocole de Dakar. Doit-on se limiter à la lettre du droit communautaire et laisser libre cours aux retraits ?
Ou ne devrait-on pas, sans aller jusqu’à loi de l’enchaînement de l’Etat fédéré à l’Etat fédéral, davantage rigidifier la procédure de retrait, avec l’objectif de donner du temps et de la chance à la diplomatie intégrative. Ce qui pose le débat de la réforme institutionnelle de la CEDEAO après que le traité soit éprouvé par l’expérience.
Au surplus, la désintégration du processus d’intégration par des actions initiées dans le cadre de la dénonciation du traité peut-elle être accueillie et mise en œuvre sans consultation du peuple par voie référendaire, des parlements nationaux suspendus ou dissous, mais aussi des autres organes de l’organisation (Parlement au titre des saisines facultatives au moins, Cour de justice) ? Ces derniers devraient aussi, au nom de la logique institutionnelle, avoir leurs initiatives à prendre et leur mot à dire, même si le dernier mot revient à la Conférence des Chefs d’Etat et de gouvernement.
A dire vrai, au-delà de la légalité de la démarche, ces retraits ,spectaculaires et inédits depuis le départ en 2000 de la Mauritanie qui a envisagé heureusement son retour par la signature en 2017 avec l’organisation d’un accord d’association, doivent être pris au sérieux et subir le traitement juridique et politique requis.
Ils pourraient souffrir d’un déficit de légitimité apaisante lié à l’absence d’onction démocratique tirée du défaut d’élection des dirigeants de la transition et de la non tenue de consultation référendaire, comme on l’a vu par exemple dans le cadre du BREXIT où après le référendum, la Cour suprême britannique avait exigé l’approbation parlementaire, avant d’activer l’article 50 du Traité de Lisbonne sur les négociations de sortie.
A juste titre, car le référendum reste le procédé de droit commun de validation et de légitimation d’une décision d’un pays décidant se retirer d’un projet d’intégration cinquantenaire, dont l’Etat en question est membre fondateur.
Les réserves de principe démocratique sur l’initiative de désaffiliation de la CEDEAO de la part de régimes à vocation transitoire sont également valables pour celle de leur affiliation à l’AES. En tout état de cause, il est clair qu’après 50 ans de vie dans une organisation d’intégration, se retirer de celle-ci signifie tourner le dos à une expérience de fraternité africaine cinquantenaire, pourtant citée en exemple par les benchmarkings de fonctionnement de modèles d’intégration.
Une opportunité pour sécuriser le droit de retrait et sauver l’intégration
Bien entendu, le propos ne consiste pas ici à délégitimer ou à contester la décision de retrait des Etats de l’AES ou à critiquer la mise en branle de la procédure de séparation, mais plutôt à inciter la CEDEAO à transformer cette crise en opportunité pour sécuriser le processus d’intégration et éviter d’ultérieurs retraits liés notamment à des changements anticonstitutionnels de gouvernement (on le sait doublement condamnés par la CEDEAO et l’Union Africaine) qui peuvent se révéler des parenthèses bien circonscrites dans des périodes de transition d’une durée limitée.
Ce besoin de sanctuarisation de l’organisation ne répond pas seulement aux Etats théâtres de coup d’Etat, mais à tous types de manifestations de volonté de rompre avec celle-ci. Il faut, à cet égard, prêter attention à la récente déclaration du ministre togolais des affaires étrangères Robert Dussey qui n’exclut pas une adhésion de son pays à l’AES.
A l’évidence, un autre retrait et une éventuelle attractivité de l’AES (avec l’intention prêtée au Tchad d’y adhérer) seraient un coup dur pour les efforts méritoires de construction de l’intégration des Etats et des peuples de l’Afrique de l’Ouest.
L’organisation communautaire devrait, donc, marquer le coup en engageant, sans remettre en cause la souveraineté des Etats qui restent maîtres des traités, la réflexion sur la sécurisation de la clause du droit de retrait et définir une doctrine préventive y relative pour endiguer quelque tentation de cascades de décrochages qui saperaient la dynamique intégrative, mais aussi les efforts collectifs de construction de la paix et de la sécurité de la sous-région.
En définitive, parce qu’il y va de la survie de l’organisation, cet ajustement institutionnel salvateur de l’intégrité de l’organisation devrait être un des points de l’Agenda attendu des réformes de la CEDEAO.
L’urgence d’engager la réforme de l’architecture institutionnelle
Au total, pour éviter de se désagréger et plutôt s’élargir en se consolidant, la CEDEAO doit, d’urgence, se réformer dans le sens d’une meilleure balance entre la sauvegarde des principes constitutionnels, la gestion des susceptibilités souverainistes et l’atteinte des objectifs économiques. (MFL/2025)