LIBREVILLE, 7 OCTOBRE (ASPAMNEWS)-Ce lundi 7 octobre démarre une campagne de proximité pour sensibiliser les Gabonais à participer au référendum sur la nouvelle Constitution. Résultat des recommandations du dialogue national d’avril et mai derniers, ce texte sera soumis à l’approbation populaire à une date qui reste à préciser. Le texte ne fait pas l’unanimité en raison de dispositions jugées discriminatoires par certains alors que d’autres appellent à voter Oui. Mais, des questions sur la sécurité juridique suscitent de débats.
Le projet de Constitution instaure un régime présidentiel avec un renforcement des pouvoirs exécutif du chef de l’État, un mandat présidentiel de 7 ans renouvelable une fois et un accès à la fonction de présidence de la république réservé désormais aux seuls Gabonais nés de père et de mère, eux-mêmes, nés Gabonais de père et de mère. À Libreville, comme dans le reste du pays, la pré campagne électorale pour ou contre le projet de nouvelle constitution est ouverte.
Le mouvement des souverainistes-écologistes, membre de la coalition pour la nouvelle république de Jean Ping est parmi les structures politiques déjà en ordre de bataille pour faire barrage au projet de la nouvelle loi fondamentale du Gabon. «On ne peut pas prendre à la légère la construction d’une nation en essayant d’écarter une catégorie de Gabonais sous prétexte qu’aux États-Unis où il y a 300 millions d’habitants nous avons quelques mesures… Mais ici c’est pas pareil, ici c’est le Gabon. Nous disons non à ce texte en l’état et ça n’a rien avoir avec Oligui-Nguema», précise Francis Aubame, président du Mouvement des Souverainistes..
Mais l’intérêt pour les questions politiques vient malheureusement mettre sous l’éteignoir beaucoup d’autres questions aussi importantes que vitales pour le Gabon et partant pour notre démocratie.
En effet, la justice dont l’importance n’est plus à démontrer dans un pays mériterait notre attention. Une justice qui rassure est un gage pour la stabilité du pays et des institutions. C’est pourquoi, le débat autour des questions de la justice ne devrait pas se limiter que dans les prétoires. Ce désintérêt supposé a éveillé notre curiosité et nous a amené à nous intéresser à ce sujet. L’intérêt en abordant ce sujet est de susciter des débats autour d’autres questions névralgiques de la vie de notre pays.
Mais avant toute chose nous avons estimé qu’il nous fallait d’abord définir qu’est ce que la sécurité juridique. En effet la sécurité juridique est un principe du droit qui a pour objectif de protéger les citoyens contre les effets secondaires négatifs du droit, en particulier ses incohérences.
La lecture des nouvelles dispositions relatives à l’organisation de la justice dans notre pays, a suscité notre intérêt à s’interroger sur l’opportunité de l’élargissement des pouvoirs de la Cour Constitutionnelle dans le jardin de la Cour de Cassation.
Cette extension vient contrarier le pouvoir des arrêts de la Cour de Cassation.
En effet, au terme de la l’article 130 du projet de la nouvelle constitution, les arrêts de la Cour de Cassation sont revêtus de l’autorité absolue de la chose jugée. Ils s’imposent au juridictions inférieures, aux pouvoirs publics, aux autorités administratives et à toutes les personnes physiques et morales.
En d’autres termes, les arrêts de la Cour de Cassation sont insusceptibles de recours. Pour mieux apprécier le bien-fondé de nos appréhensions, il faut continuer la lecture pour s’arrêter aux nouvelles prérogatives de la Cour Constitutionnelle. Au terme de l’article 152, la Cour Constitutionnelle peut statuer sur la constitutionnalité des décisions de justice, censées porter atteinte aux droits fondamentaux de la personne humaine et aux libertés.
Ici c’est bien établi que désormais la Cour Constitutionnelle peut juger les décisions de la Cour de Cassation, assurément le contrôle de constitutionnalité porte sur le respect des droits fondamentaux des personnes humaines et celui des libertés publiques. ce qui n’existait pas dans toutes les dernières constitutions depuis le retour au pluralisme politique.
Cette disposition contrevient aux principes fondamentaux de la séparation des pouvoirs, de l’indépendance judiciaire et de l’autorité de la chose jugée. Cette disposition pose également un problème plus large pour la gouvernance démocratique et pourrait ternir l’image du pays en tant qu’Etat démocratique.
Naïvement je pense que si la Cour Constitutionnelle se voit confier les pouvoirs étendus, il y a risque que cet organe devienne un instrument entre les mains de l’exécutif, capable de contrôler non seulement les lois, mais aussi les décisions de judiciaires. Cela placerait de facto l’ensemble du système judiciaire sous l’influence politique, compromettant l’équilibre démocratique.
Cette mesure renforce la tendance à la centralisation avec davantage de pouvoir cette fois-ci au détriment du système judiciaire. Cette centralisation affaiblit le principe de séparation des pouvoirs qui est essentiel dans toute démocratie fonctionnelle. Nous estimons que la justice doit rester indépendante pour pouvoir jouer son rôle de contrôle sur les autres pouvoirs et garantir la protection des citoyens contre les abus.
La disposition permettant à la Cour Constitutionnelle souleve plusieurs questions aussi bien sur le plan juridique que sur le plan institutionnel et politique. Le principe de l’autorité de la chose jugée est ancien et central dans tout système judiciaire. Il garantit la suprématie des décisions rendues par les juridictions suprêmes comme la Cour Constitutionnelle. Elles sont définitives et inattaquables.
Ce principe vise à assurer la stabilité juridique et la sécurité des décisions de justice. En effet, si les jugements pouvaient être définitivement contestées, cela créerait une incertitude permanente et une insécurité pour les justiciables. Cette disposition qui permettrait à la Cour Constitutionnelle de remettre en cause les décisions de la Cour de Cassation introduit une rupture de cette stabilité.
En théorie la Cour Constitutionnelle n’est pas un tribunal de droit commun, mais c’est une juridiction d’exception spécialisée dans le contrôle de la constitutionnalité des lois. En lui attribuant un pouvoir sur les décisions de la Cour de Cassation, le projet de constitution non seulement brouille la séparation des compétences mais remet également en cause l’indépendance de chaque ordre de juridiction. Il s’agit donc d’une rupture potentielle avec un principe universel de droit pouvant créer un fâcheux précédent.
Cette proposition sème la confusion dans les compétences et la hiérarchie des juridictions. Le rôle de la Cour de Cassation est de vérifier que les lois sont correctement appliquées par les juridictions inférieures. En revanche la Cour Constitutionnelle a pour mission de garantir que les lois elles-mêmes respectent la constitution.
Ces deux rôles bien que complémentaires sont nettement distincts.
En permettant à la Cour Constitutionnelle de juger les décisions de la Cour de Cassation, la traditionnelle séparation des pouvoirs judiciaires et constitutionnelles se trouve brouillée. Cette confusion des compétences peut entraîner des conflits de juridictions, ce qui affaiblirait l’efficacité de l’appareil judiciaire dans son ensemble.
Il est à craindre que les décisions de justice puissent désormais être contestées sur des bases constitutionnelles pour des raisons qui ne relèvent pas strictement du droit constitutionnel mais qui pourraient être motivées par des intérêts politiques.
Cela pourrait également engendrer une sorte de concurrence entre les deux Cours créant une situation où le respect de décisions judiciaires devient une question de pouvoir plutôt que de droit. A terme cette situation pourrait être exploitée pour exercer des pressions politiques sur les juges, altérant ainsi l’impartialité de la justice.
L’indépendance de la justice.
L’indépendance de la justice est un pilier de l’État de droit. Toute atteinte à cette indépendance affaiblie la confiance du public dans le système judiciaire et mine l’intégrité des institutions. La possibilité pour la Cour Constitutionnelle souvent composée des hommes nommés par les pouvoirs politiques, d’intervenir sur les décisions judiciaires définitives rendues par la Cour de Cassation pourrait affaiblir cette indépendance.
La question qui se pose ici est celle de la politisation potentielle de la justice. Si les décisions de la Cour de Cassation peuvent être remises en cause par la Cour Constitutionnelle, cela ouvre la porte à des interférences politiques dans des affaires strictement judiciaires.
Cette confusion de rôles entre justice et politique pourrait affaiblir non seulement le pouvoir judiciaire, mais aussi la démocratie dans son ensemble. Une justice dépendante ou fortement influencée par le pouvoir politique perd sa dignité et ne peut plus jouer le rôle de contre-pouvoir.
Ce regard naïf d’un naïf justiciable n’est pas un réquisitoire contre quiconque, mais plutôt un cri de cœur pour protéger l’indépendance de la magistrature et du juge qui ne doit être soumis qu’à l’autorité de la Loi dans l’exercice de ses fonctions. (DLT/2024)