BAMAKO, 18 NOVEMBRE (ASPAMNEWS)- C’est en présence de plus de 1000 personnes dans une salle du Centre international conférence de Bamako, samedi dernier, que le Premier ministre de la transition, Dr Choguel Kokalla Maïga, a lancé un appel inédit aux autorités militaires, les exhortant à ouvrir des discussions sur la fin de la transition politique.
« Ça fait plus de deux ans que je demande à rencontrer les militaires pour qu’on s’assoit et discute de l’avenir politique de la transition sans y parvenir », a révélé le premier ministre , Dr Choguel K Maïga, lors d’un meeting organisé par le M5-RFP ce week-end à Bamako pour commémorer la date de la libération de Kidal par l’armée , pour clarifier la situation politique et faire des proposition pour une réorientation de la transition.
Habillé en treillis militaire signe d’un combattant, le locataire de la primature n’est pas allé par le dos de la cuillère pour décrire l’ampleur de l’isolement de son gouvernement dans la prise de certaines décisions importantes. Véritable meeting de « révélations » comme il avait annoncé quelques jours avant, Dr Choguel K Maïga affirme que « Transition sensée prendre fin le 26 mars 2024 a été reportée sine die, unilatéralement, sans débat au sein du Gouvernement ».
Poursuivant, il informe qu’aujourd’hui encore, « il n’existe aucun débat sur la question, le Premier ministre est réduit à se contenter des rumeurs de la presse ou à une interprétation hasardeuse des faits et gestes du Ministre de l’Administration territoriale et de la Décentralisation ».
Le Mali, plongé dans une crise politique et sécuritaire depuis 2012, vit une période de transition complexe, marquée par les coups d’État successifs de 2020 et 2021. Depuis ces événements, le pays est dirigé par des militaires du Comité national pour le salut du peuple (CNSP), avec à leur tête le colonel Assimi Goita.
Toutefois, la situation politique est devenue de plus en plus tendue, et le Premier ministre civil Choguel Kokalla Maïga, un ancien allié du pouvoir militaire et membre du mouvement M5-RFP, a récemment pris la parole pour appeler à un débat sur la fin de la période de transition.
Un geste rare, qui reflète les tensions croissantes au sein du gouvernement et la frustration de certaines forces politiques face à l’incertitude qui règne autour de la transition.
À l’origine, la transition malienne devait se conclure par des élections en mars 2024, avec un retour à un régime civil. Cependant, les autorités militaires ont repoussé ce calendrier de manière unilatérale et sans consultation, ce qui a provoqué de vives inquiétudes parmi les Maliens.
En juin 2022, ils avaient assuré que les élections seraient organisées dans les délais prévus, mais le report indéfini du scrutin a alimenté un climat de mécontentement. Choguel Maïga, dans son discours récent, a dénoncé cette prolongation de la transition, soulignant qu’elle avait été décidée sans débat interne et qu’elle entretenait un climat d’incertitude.
Selon lui, la situation actuelle est caractérisée par une absence de clarté sur les intentions du pouvoir actuel, un manque d’information sur les préparatifs électoraux et l’absence de toute consultation sur la fin de la transition.
Cette situation génère des rumeurs et nourrit un sentiment de confusion parmi la population. Le Premier ministre a également exprimé son inquiétude quant aux risques que cette incertitude fasse dérailler le processus de refondation du pays, mettant en péril les avancées réalisées, notamment sur le plan militaire.
Les critiques de Maïga s’inscrivent dans un contexte de tensions croissantes entre le M5-RFP et le pouvoir militaire. Le mouvement politique, qui a soutenu le renversement du régime d’Ibrahim Boubacar Keïta en août 2020, semble aujourd’hui s’éloigner des militaires au pouvoir.
En mai 2023, le M5-RFP a publié une déclaration critiquant la lenteur de la transition et la gestion autoritaire des militaires, ce qui a entraîné l’arrestation de certains de ses membres. Dans son discours, Maïga a dénoncé le manque de transparence dans la gestion du processus électoral, notamment en ce qui concerne la mise en place de l’Autorité indépendante de gestion des élections (AIGE), qui a été formée sans respecter les procédures standards.
Il a aussi critiqué la prolifération des partis politiques, qui, selon lui, contreviennent aux principes énoncés lors des Assises nationales de la refondation, un espace censé établir des bases solides pour la reconstruction du pays.
Malgré ses critiques acerbes, Choguel Kokalla Maïga n’a pas manqué de saluer les succès militaires du gouvernement, notamment la récente reconquête de Kidal, un bastion rebelle dans le nord du pays. Cette victoire, obtenue par les Fama, forces armées maliennes le 14 novembre 2023, revêt une symbolique forte, car elle marque la fin de trois décennies d’instabilité dans cette région, durant lesquelles l’État malien avait perdu le contrôle.
Pour le Premier ministre Maïga, la reconquête de Kidal est un signe de la reprise en main du pays par les autorités maliennes, après des années de domination par des forces étrangères, notamment françaises. Dans son discours, il a comparé la résistance malienne à la France à celle du peuple vietnamien face à la colonisation française, soulignant que le Mali, comme le Vietnam, a choisi de défendre son indépendance et de ne pas céder à la pression extérieure.
En dépit de ces avancées, le Premier ministre a rappelé l’importance de l’unité nationale pour réussir la transition. Selon lui, la réussite du processus dépendra de la capacité des Maliens à se rassembler autour d’un objectif commun, au-delà des clivages politiques antérieurs aux coups d’État de 2020 et 2021.
Il a appelé à un « sursaut patriotique » pour garantir la stabilité du pays et éviter un retour en arrière. Maïga a insisté sur le fait que la transition ne pouvait réussir que si tous les acteurs politiques s’engageaient à respecter les principes du changement profond et à travailler ensemble pour réaliser les réformes nécessaires à la reconstruction du Mali.
La critique d’un internaute malien : « un opportunisme flagrant »
Cette prise de position de Maïga n’a pas été accueillie favorablement par tous les Maliens. Un internaute malien, dans un commentaire publié sur les réseaux sociaux, a exprimé des doutes quant à la sincérité de l’engagement de Maïga.
Il a qualifié l’attitude du Premier ministre de « manipulatrice » et « d’opportuniste » soulignant que Choguel Maïga, comme de nombreux politiciens, s’est toujours désolidarisé des causes qu’il défendait dès qu’il a vu une opportunité de rebondir.
Selon cet internaute, Maïga serait comme un « charognard » qui attend que la situation se dégrade pour s’en laver les mains et se positionner en dehors du chaos. « Pourquoi avoir accepté jusqu’à aujourd’hui ? La réponse, on la connaît : il flaire l’odeur de la putréfaction et veut s’en laver les mains », a-t-il écrit, suggérant que l’ex-Premier ministre n’agirait que dans une logique de survie politique.
Avis partagé par de nombreux autres internautes et observateurs, qui estiment que Maïga n’a jamais agi par pure loyauté envers le peuple malien, mais plutôt par calcul politique, malgré le caractère « courageux » de ses discours.
Selon eux, le problème ne réside pas seulement dans les actions des dirigeants, mais aussi dans la passivité du peuple malien, qui a souvent applaudi des choix politiques douteux et n’a pas su exiger plus de ses dirigeants.
« Nous avons applaudi quand il fallait huer, nous avons récompensé les médiocres au lieu de les sanctionner », déplore un autre internaute, qui pointe le manque d’exigence des Maliens envers leurs gouvernants.
En fin de compte, ce climat de frustration et d’incertitude semble être partagé par de nombreux Maliens. Si certains soutiennent l’appel de Maïga à un débat national sur la fin de la transition, d’autres estiment que ces prises de position sont surtout des manœuvres pour préserver des intérêts personnels.
Le débat sur l’avenir de la transition malienne reste ainsi ouvert, et il est évident que le peuple malien, au cœur de ce processus, attend des réponses claires et un véritable consensus sur l’avenir du pays. La réussite de la transition dépendra de la capacité des dirigeants à surmonter leurs divergences, à éviter les dérives autoritaires et à restaurer la confiance avec la population. (MDP/2024)