CAMEROUN: Geste d'apaisement du président Biya pour mettre fin au conflit

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(ASPAMNEWS)- Après avoir ordonné la libération de 333 détenus, un « geste d’apaisement » à la veille de la clôture du Grand dialogue national censé mettre fin au conflit séparatiste qui ensanglante les deux régions anglophones du pays, le président camerounais Paul Biya a annoncé vendredi l’arrêt des poursuites contre des responsables de l’opposition, notamment ceux du parti de son rival à la présidentielle de 2018.

Ces assises, convoquées par le chef de l’Etat, ont également préconisé l’octroi d’un « statut spécial » aux deux régions de l’Ouest peuplées par la minorité camerounaise anglophone mais sans en spécifier, pour l’heure, la teneur exacte.

Cette proposition écarte de fait le fédéralisme demandé par les personnalités anglophones qui n’ont pas boycotté ces assises, boudées par la grande majorité des leaders des groupes armés indépendantistes.

M. Biya n’a cependant pas précisé si son principal opposant, Maurice Kamto, président du Mouvement pour la Renaissance du Cameroun (MRC), son challenger à la présidentielle de 2018 et emprisonné depuis neuf mois, était concerné par ce soudain accès de clémence d’un président tout puissant jusqu’alors intransigeant, tant face à l’opposition nationale qu’aux indépendantistes anglophones.

« J’ai décidé de l’arrêt des poursuites judiciaires contre certains responsables et militants de partis politiques, notamment du MRC, arrêtés et détenus pour des faits commis dans le cadre de la contestation des résultats de la récente élection présidentielle », a annoncé le chef de l’Etat sur son compte Twitter officiel.

Un communiqué de la présidence précise qu’il s’agit de l’arrêt des poursuites « devant les tribunaux militaires ». M. Kamto et 88 de ses partisans sont actuellement poursuivi devant un tribunal militaire à Yaoundé, notamment pour « insurrection ».

M. Kamto, arrivé deuxième lors de la présidentielle d’octobre 2018, conteste la réélection de M. Biya et c’est à la suite d’une des manifestations organisées par son parti pour protester contre les résultats officiels de ce scrutin qu’il avait été arrêté et emprisonné fin janvier.

« Je ne sais pas si Maurice Kamto est concerné ou pas » par ce geste, a affirmé le troisième vice-président de son parti, Emmanuel Simh.

L’annonce de M. Biya intervient le jour de la clôture du Grand dialogue national qu’il avait convoqué pour tenter de mettre un terme au conflit meurtrier opposant depuis deux ans des groupes indépendantistes aux forces de l’ordre dans les deux régions anglophones de l’ouest du Cameroun.

Le président avait déjà annoncé jeudi la fin des poursuites et la libération de 333 personnes arrêtées dans le cadre de cette crise.

– Multiples crises –

« Le chef de l’Etat réaffirme sa détermination à poursuivre sans relâche ses efforts dans la recherche des voies et moyens d’une résolution pacifique des crises et différends auxquels peut être confronté notre pays », lit-on vendredi soir dans un communiqué de la présidence.

Le Cameroun, pays perçu pendant des années comme un relatif havre de paix en Afrique centrale, est confronté aujourd’hui à de multiples crises. Le nord du pays est sous la constante menace du groupe jihadiste nigérian Boko Haram qui multiplie les attaques contre l’armée et des civils.

Dans l’ouest, dans les deux régions peuplées principalement par la minorité anglophone (16% des Camerounais), les combats et exactions des deux camps –groupes armés indépendantistes et militaires– ont fait environ 3.000 morts en deux ans, selon des ONG, et forcé plus d’un demi-million de personnes à fuir leur domicile, selon l’ONU.

A cela s’est ajoutée une crise politique inédite après la réélection très contestée de M. Biya en octobre 2018, qui a vu de nombreux Camerounais descendre régulièrement dans la rue pour protester avant la vague d’arrestations de janvier 2019.

Le Grand dialogue national que M. Biya a finalement concédé sur le conflit anglophone a débouché sur la proposition d’une forme de décentralisation accrue, un « statut spécial » dont les contours sont encore largement inconnus et qui reste soumis à l’approbation du chef de l’Etat, d’une meilleure autonomie politique et financière et l’élargissement de 333 détenus poursuivis cependant simplement pour des « troubles ». Une mesure de clémence qui ne concerne pas, pour l’heure, les cadres et combattants séparatistes emprisonnés, dont Julius Ayuk Tabe, « président » autoproclamé de la « République d’Ambazonie » que les indépendantistes rêvent de fonder dans l’ouest, et récemment condamné à la prison à vie.

– Pressions sur Yaoundé –

Cet apparent changement de cap de M. Biya est sans doute dû en partie à des pressions internationales inédites depuis le début de l’année, à la fois sur la crise anglophone et sur le sort de l’opposition en prison, en particulier de M. Kamto.

Washington avait déclaré en mars qu’il serait « sage de le libérer », suivi de près par l »Union européenne, qui avait parlé de « procédure disproportionnée ». Ces appels avaient été rejoints quelque mois plus tard par la France, l’un des plus fidèles soutiens de M. Biya, longtemps restée silencieuse.

« Cette décision était espérée. Le président est bien conscient que le Cameroun est à la croisée des chemins parce qu’il fait face à d’importantes crises », commente Richard Makon, un universitaire et politologue camerounais.

« Il était nécessaire qu’il prenne des décisions pour décrisper l’atmosphère, il a compris qu’il fallait travailler à l’apaisement d’une société confrontée à des crises multiformes », juge l’analyste. « Qu’on le veuille ou non, le MRC décide de la météo politique au Cameroun et on ne peut pacifier le pays en maintenant ses responsables en prison », conclut M. Makon. (AFP/2019)

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