DAKAR, 6 JUILLET (ASPAMNEWS)-« Ma décision mûrement et longuement réfléchie est de ne pas être candidat à l’élection présidentielle de 2024 », a déclaré le président lundi soir dans un message à la nation. Pris de court par cette décision inattendue, des réunions d’urgences s’organisent au sein des partis membres de la coalition Benno Bokk Yakaar (BBY) pour s’adapter à la nouvelle donne. Au Parti socialiste (Ps) tout comme à l’alliance des forces de progrès (Afp), la recherche d’un candidat à la présidentielle de 2024 -scénario jamais envisagé auparavant-, est devenu une impérieuse urgence, à défaut de ne pouvoir se ranger derrière le candidat de Benno qui sera choisi par Macky Sall.
Quoi de plus normal, puisque lors de son discours, le président Sall n’a pas désigné un dauphin pour la présidentielle de février 2024. Pour certains observateurs, cela n’est pas sans risques. »On a vu le syndrome Ouattara en Côte d’ivoire. Un président peut renoncer à sa candidature et revenir sur sa décision en l’absence d’un dauphin » a déclaré, Pr Ogo Seck, Professeur titulaire de classe exceptionnelle, agrégé en droit et science politique.
Il ajoute que la coalition Benno Bokk Yakaar (BBY) qui a porté le président Macky Sall à la tête du pays n’a pas un »Numéro 2 » qui peut valablement défendre les couleurs de la coalition au prochain scrutin présidentiel. c’est à cause de ça que le porte-parole du parti socialiste Abdoulaye Wilane a déclaré : « Nous n’avions pris d’engagement qu’avec Macky Sall. Ensemble envisageons l’avenir dès maintenant. »
Un autre plus clair : « Depuis l’avènement de Bby, le Parti socialiste n’avait d’engagement pris qu’avec le Président Macky Sall. Un engagement sans faille ! Nous avons toujours fait dans la loyauté et la sincérité. Maintenant que les cartes sont redistribuées par Macky Sall, à nous d’inventer notre futur. Nous devons agir en équipe, travailler en synergie, dans une complémentarité harmonieuse et efficace afin de faire face aux défis qui nous attendent. Semaine décisive : le Parti socialiste pour le nouveau contrat de mandature. »
En clair, Wilane suggère que le Ps ne saurait être lié à personne d’autre. Y aura-t-il un débat sur les retrouvailles avec Khalifa Sall et Cie ? D’autres qui sont encore dans le gouvernement comme Serigne Mbaye Thiam, Alioune Ndoye et même Aminata Mbengue Ndiaye, président du Hcct, peuvent-ils faire autrement que de soutenir le candidat que Macky Sall aura choisi ?
Il est déjà connu que des dissensions commençaient par être remarquées depuis quelques mois au sein de la majorité présidentielle. À l’Alliance des Forces du Progrès (AFP) de Moustapha Niass, l’ancien ministre Alioune Sarr s’est fait investir comme candidat par une partie des membres de cette formation. Une démarche cavalière qui n’a pas été du goût de Moustapha Niass qui avait menacé de sévir.
Idrissa Seck, le candidat arrivé deuxième lors de la présidentielle de 2019 a aussi déclaré sa candidature à la présidentielle de 2024 et a décidé de quitter le navire BBY. Le Président Macky Sall va donc devoir désigner un dauphin s’il veut conserver son héritage politique et éviter que son parti l’APR et la coalition Benno Bokk Yakaar ne volent en éclat. Dans les conversations politiques trois noms reviennent pour porter la candidature du regroupement politique en 2024.
Si les progressistes ont opté pour la prudence en attendant les conclusions de la réunion des leaders de BBY, chez les « Verts de Colobane », la machine a été mise en branle dès le lendemain (mardi) de l’annonce du président Sall. En effet, le secrétariat exécutif national (SEN) est convoqué en urgence, ce jeudi 6 juillet 2023, pour déterminer la position des socialistes.
« Chers camarades. Madame Aminata Mbengue Ndiaye, secrétaire générale du Parti socialiste vous invite à prendre part à la prochaine réunion du Secrétariat Exécutif National qui se tiendra ce jeudi 06 juillet 2023, à 16 heures précises, à la Maison du Parti, Léopold Sédar Senghor. Cette séance, élargie aux élus nationaux que sont les députés et hauts conseillers territoriaux portera sur la vie du Parti et l’examen de la vie politique nationale », informe le secrétaire permanent du PS dans une note adressée aux membres du SEN.
Même si le porte-parole du Ps, Abdoulaye Wilane soutient que son parti « envisage l’avenir dans Benno », il n’en demeure pas moins qu’un plan de secours sera concocté en sourdine dans les officines de la maison du parti, pour éviter une énième surprise d’un Macky Sall qui semble trouver du plaisir à prendre de court alliés et adversaires.
Appel aux retrouvailles socialistes
Face à l’éventualité d’un choix non-consensuel du leader de BBY, à un peu plus de six mois de la présidentielle du 25 Février 2024, l’option des retrouvailles socialistes est agitée par un ancien responsable banni des rangs : le maire de Dakar Barthélémy Dias. Dans une déclaration faite, ce mercredi 5 juillet 2023, Dias-fils pose les premiers jalons de la réunification des socialistes.
« Je lance un appel à tous les amis de la gauche. La candidature de Khalifa Sall est une candidature de principe, de valeur et d’avenir. Je tends ma main aux socialistes et j’espère que dans quelques jours, on pourra s’asseoir autour d’une table pour discuter de l’avenir du parti et du pays », a-t-il déclaré. Faudrait-il d’abord convaincre Serigne Mbaye Thiam à accepter de se ranger derrière le leader de Taxawu Sénégal.
Prétendant sérieux au fauteuil présidentiel, Serigne Mbaye Thiam, qui compte sur l’appareil politique du Ps pour se hisser au sommet, met une pression assidue sur Aminata Mbengue Ndiaye depuis quelque temps pour redynamiser le parti en perspective de la présidentielle de 2024.
Mais Bamba Fall, ancien maire de Médina, déconseille à ses anciens camarades de choisir leur candidat. « Je ne le conseille pas au Parti socialiste. Il doit s’assumer, il est avec Macky Sall depuis le début. Ce bilan est partagé par toute la coalition. Ce n’est pas le moment de partir. C’est le moment de discuter, de trouver un candidat consensuel », a dit M. Fall, dans un entretien avec Les Echos.
Pour Bamba Fall, rien ne dit que le futur candidat ne peut pas provenir des rangs du Parti socialiste. « Il ne faut pas trop s’empresser. Ils n’ont qu’à ouvrir la discussion avec toute la coalition. Le président Macky Sall est encore le président de la coalition. Les socialistes ne peuvent plus partir seuls. Déjà, toute la coalition réunie avait des difficultés pour avoir les 50% si tu vas seul, tu n’auras que des miettes ».
Gackou et Alioune Sarr, éventuel retour des héritiers de Niasse ?
A l’Afp, Moustapha Niasse (il a dépassé l’âge légal d’éligibilité, 75 ans) qui a fini de faire le vide autour de lui en écartant tous les jeunes loups aux dents longues, devra battre le rappel des troupes s’il tient à présenter un candidat hors Benno. En effet, depuis 2012, l’ancien président de l’assemblée nationale s’est séparé de tous les responsables qui ont commis l’outrecuidance d’afficher leur ambition de succéder à Macky Sall.
Le numéro deux du parti, Alioune Sarr, qui a été investi comme candidat par une partie de membres de l’Afp, s’est exposé aux foudres du progressiste en chef. Avant lui, Malick Gackou, qui faisait lui aussi figure de numéro 2, a été évincé pour les mêmes raisons.
Reviendront-ils à la ‘’maison-mère’’ pour porter l’étendard du progressisme ? Moustapha Niasse appréciera sûrement à l’issue du choix du candidat de Benno.
Amadou Ba : l’actuel premier ministre a la faveur des pronostics a indiqué à la BBC, le journaliste et analyste politique sénégalais Alioune Ndiaye. Ancien ministre de l’économie et des finances, Amadou Ba a été aussi ministre des affaires étrangères et des Sénégalais de l’Extérieur et il est le plus connu par les Sénégalais parmi les trois noms cités. Selon la presse locale, l’homme est également bien introduit au niveau des principaux foyers religieux. »Il est de Dakar, une région très importante dans les batailles électorales » a déclaré Alioune Ndiaye.
Abdoulaye Daouda Diallo : l’actuel président du Conseil économique social et environnemental a été directeur de cabinet du président Macky Sall et ministre de l’économie et des finances. »Le fait qu’il soit moins connu des Sénégalais est un handicap » indique Alioune Ndiaye. L’analyste politique sénégalais évoque également son incapacité de s’exprimer correctement en wolof, la langue de communication de la majorité des Sénégalais.
Aly Ngouille Ndiaye : l’actuel ministre de l’agriculture a été par le passé ministre de l’intérieur. Il est un militant très engagé et très connu dans les associations de femmes. Son fief c’est la commune de Linguère, une commune qui ne pèse pas beaucoup dans la balance électorale.
Selon l’analyste Alioune Ndiaye, aucun de ces cadres de l’APR ne pourra remporter la présidentielle au premier tour sans le soutien majeur de l’actuel chef de l’Etat.
Selon lui, le président Macky Sall doit rapidement désigner son dauphin et s’investir de façon personnelle dans la campagne du candidat.
»Si aujourd’hui, l’Apr prend le risque d’organiser les primaires, le parti va s’éclater. La seul perspective qui s’offre à eux à huit mois des élections, c’est que Macky Sall désigne un candidat et qu’il fasse tout le travail de diplomatie souterraine pour que tous les leaders et partis significatifs de la coalition Benno Bokk Yakaar soutiennent ce candidat » précise-t-il.
»Marges de manœuvre étroites pour l’opposition »
Les opposants sénégalais ont longuement milité contre un troisième mandat de Macky Sall. Mais la décision du chef de l’Etat de ne pas se présenter ne consolidera pas autant les lignes au niveau de l’opposition. »Les marges de manœuvre de l’opposition sont étroites » déclare Ogo Seck, Professeur en science politique.
Le journaliste et analyste politique Alioune Ndiaye estime pour sa part que la décision de Macky Sall coupe l’herbe sous les pieds de certains opposants. »Macky Sall candidat, cela permettrait de faire de l’élection présidentielle un référendum pour ou contre la troisième candidature et à l’arrivée l’opposition est sûre de l’emporter » dit-il.
En l’état actuel des choses, les candidatures de certains opposants dépendent de la modification ou non de la constitution et du code électoral à l’Assemblée nationale.
Karim Wade : le fils de l’ancien président Abdoulaye Wade avait été condamné en 2015 à six ans de prison ferme pour enrichissement illicite, avant d’être gracié et de s’exiler au Qatar. Mais son parti, le Parti démocratique Sénégalais(PDS) espère que les conclusions du dialogue national tenu en mai-juin 2023 permettront à l’ancien ministre d’être éligible en 2024.
Le PDS a d’ailleurs publié un communiqué quelques heures après le discours de Macky Sall pour demander aux Sénégalais de soutenir la candidature de Karim Wade. Le PDS a annoncé la tenue prochaine d’un congrès d’investiture où la candidature de Karim Wade sera officiellement annoncée.
Khalifa Sall : l’ ancien maire de Dakar, avait quant à lui été écarté de l’élection présidentielle de février 2019, ayant été condamné à cinq ans de prison ferme pour détournements de fonds publics, avant d’être gracié en septembre de la même année. Son parti espère aussi son éligibilité suite au dialogue national.
Le président Macky Sall a indiqué dans son message à la nation que l’Assemblée nationale serait saisie pour « la modification de certaines dispositions de la constitution et du code électoral ».
Ousmane Sonko, le »grand perdant » ?
Si la fumée blanche semble apparaitre pour Karim Wade et Khalifa Sall, la situation reste confuse pour l’un des leaders de la coalition de l’opposition Yewwi Askan wi.
Arrivé troisième lors de la présidentielle de 2019, Ousmane Sonko est aussi sous le coup d’une condamnation à deux ans de prison ferme pour corruption de la jeunesse. Contrairement à Khalifa Sall, il n’a pas encore purgé sa peine. Sa candidature reste compromise.
L’analyste Alioune Ndiaye, déclare que le président du parti Pastef reste le »grand perdant » après la décision de Macky Sall de ne pas se représenter en 2024.
» Ousmane Sonko est le grand perdant parce qu’il a boycotté le dialogue national et donc les conclusions de ce dialogue ne sont pas obligées de prendre en compte son cas. Il va se retrouver isolé de l’espace politique ».
Il ajoute que Ousmane Sonko risque d’être aussi »isolé dans la hiérarchie des problèmes des Sénégalais ».
» Le grief principal que les Sénégalais pouvaient porter contre Macky, c’était de se présenter pour un troisième mandat. Aujourd’hui, mis à part ses partisans, pour le commun des Sénégalais, la participation ou pas de Sonko à l’élection présidentielle n’est pas un enjeu majeur » précise-t-il.
Pour le parti PASTEF dirigé par Ousmane Sonko, il n’est pas question d’une élection présidentielle sans la participation de leur leader. Birame Soulèye Diop, président du groupe parlementaire de la coalition Yewwi askan wi dont Pastef est membre, se veut formel : « Dakar a dormi quand Macky Sall a déclaré sa non candidature. Dakar ne dormira pas si Ousmane Sonko est empêché d’être candidat. »
Aminata Touré
L’ancienne première ministre est la première femme qui s’est déclarée candidate pour la présidentielle de 2024.
Mimi comme elle se fait appeler au Sénégal était une proche du président Macky Sall. Mais le »divorce » a été consommé avec le chef de l’Etat au lendemain des législatives de 2022.
Celle qui était la directrice de campagne de la coalition Benno Bokk Yakaar pour ce scrutin législatif pensait occuper la présidence de l’Assemblée nationale. Mais le chef de l’Etat a jeté son dévolu sur Amadou Mame Diop.
En signe de protestation, Mimi quitte le groupe parlementaire Benno Bokk Yakaar, rejoignant les députés non-inscrits. Elle a finalement été déchue de son poste de député après un vote du bureau de l’Assemblée nationale en janvier 2023.
La militante pour les droits de l’homme vole désormais de ses propres ailes avec le Mouvement pour l’intégrité, le mérite et l’indépendance (Mimi) qu’elle a créé après son départ de la coalition au pouvoir.
Pour devenir la première présidente de l’histoire du Sénégal, Aminata Touré va tenter de focaliser sa campagne sur les femmes et les jeunes.
Les Outsiders
Plusieurs autres candidats devront faire face aux poids lourds de la présidentielle de 2024.
Même s’ils ne joueront peut-être pas les premiers rôles, leurs choix seront cruciaux en cas de deuxième tour.
Boubacar Camara, ancien directeur général des Douanes sénégalaises et avocat, il a été secrétaire général du ministère dirigé par Karim Wade. Il s’est engagé dans l’opposition politique depuis mai 2018. Il est consultant international.
Malick Gakou, du Grand Parti, qu’il a fondé en 2015 après son exclusion de l’AFP de Moustapha Niasse dont il était le numéro deux.. Il a été ministre des Sports en 2012, puis ministre du Commerce, de l’Industrie et du Secteur informel. Il a fait ses études en Pologne et il est administrateur de sociétés.
Déthié Fall, coordonnateur de la principale coalition de l’opposition Yewwi Askan Wi, est l’un des candidats à suivre de près lors du scrutin. L’ex-bras droit de Idrissa Seck, désormais à la tête de son propre parti, Parti républicain pour le progrès (PRP) est aujourd’hui l’un des principaux leaders de l’opposition sénégalaise.
Bougane Guèye Dani, patron du groupe de presse D-Média (Sen Tv, Zik Fm…), Boubacar Camara, le leader du mouvement politique sénégalais Jenggu, Professeur Mary Teuw Niane, ancien ministre de l’enseignement supérieur tenteront également de séduire les électeurs.
Thierno Alassane Sall, ancien ministre et membre fondateur du parti Apr de Macky Sall et Dr Abdourahmane Diouf, président du parti Awalé sont aussi engagés dans la course présidentielle.
Pour tous ces candidats, le premier écueil à franchir sera celui des parrainages. Chaque candidat devra recueillir au moins les parrainages de 0,8 % du fichier électoral pour être éligible, entre autres critères.
La décision du président Macky Sall redistribue les cartes au niveau de la scène politique sénégalaise. Son retrait ne manquera pas d’aiguiser l’appétit au sein de la majorité présidentielle et de l’opposition. (SPM/2023)