NIAMEY, 9 AOÛT (ASPAMNEWS)- Après avoir affiché une posture martiale au début de la crise, la Communauté économique des États de l’Afrique de l’Ouest (Cedeao) semble avoir renoncé à chasser les putschistes du Niger par la force. L’organisation régionale reste impuissante face à l’épidémie de coups d’État dans la région. Pendant ce temps, des cadres affiliés à l’ancien régime de « la renaissance », ont annoncé la création d’un Conseil de la Résistance pour la République (CCR).
Quatre jours après la fin de l’ultimatum enjoignant aux putschistes au Niger de renoncer au coup d’État qui a renversé le président Mohamed Bazoum, l’option d’une intervention militaire des pays de la Communauté économique des États de l’Afrique de l’Ouest (Cedeao) paraît de moins en moins crédible.
Si aucune option n’est officiellement « écartée », le président du Nigeria Bola Tinubu, actuellement à la tête de la Cedeao, a assuré que la diplomatie était la « meilleure voie à suivre ». C’est le message qui devrait être martelé ce jeudi 10 août à Abuja, au Nigeria, lors de la réunion des États membres de l’organisation régionale.
Après avoir adopté une posture très martiale, le dirigeant nigérian a effectué en quelques jours une sérieuse volte-face devant l’absence de consensus sur une option militaire, aussi bien à l’intérieur de son pays où les dignitaires religieux, l’opposition et les sénateurs sont hostiles à une aventure armée contre leur voisin, qu’au sein de la Cedeao (voire la carte ci-dessus), sans parler des réticences des Etats-Unis et de la franche hostilité de l’Algérie, inquiets de voir les djihadistes profiter de la confusion pour marquer des points dans toute la région.
« Les dirigeants de l’organisation craignent d’être les prochaines victimes d’un coup d’État, juge Thierry Vircoulon, chercheur associé à l’Institut français des relations internationales (Ifri). Pour enrayer l’épidémie des putschs en Afrique de l’Ouest, ils ont réagi sans réfléchir et dans la précipitation en dégainant leur ultimatum. »
Une menace qui n’a pas eu l’effet escompté
Sans doute espérait-on au sein de la cedeao faire plier rapidement la junte à Niamey dont l’assise populaire paraissait fragile de prime abord. Mais la menace étrangère semble avoir eu l’effet inverse en soudant les habitants de Niamey et les militaires derrière les généraux mutins.
« Même si la Cedeao parvenait à libérer Bazoum par la force, on peut se demander quelle marge de manœuvre conserverait un président réinstallé par des armées voisines pour diriger un pays où de nombreux responsables militaires, mais aussi des acteurs politiques et de la société civile, l’ont publiquement renié ces derniers jours », avertit le centre de réflexion Crisis Group, dans une note récente.
Théoriquement, la Cedeao dispose d’une force en attente, un appareil militaire ad hoc censé pouvoir intervenir pour restaurer l’ordre constitutionnel ou mettre fin à une guerre civile. Dans les faits, cet outil n’existe que sur le papier et c’est souvent un pays qui mobilise ses propres ressources militaires et logistiques en cas d’intervention. En 2017, les troupes sénégalaises avaient ainsi forcé au départ le dirigeant gambien Yahya Jammeh, après la victoire de son rival à la présidentielle auquel s’était ralliée l’armée locale.
Une organisation impuissante
En dehors de cette mission, l’organisation régionale a montré son impuissance face aux coups d’État militaire, n’intervenant ni en Guinée ni au Mali en 2021, ni au Burkina Faso en 2022. « La Cedeao a les mêmes défauts que les autres organisations régionales africaines : elle a des objectifs qu’elle est incapable de remplir » estime Thierry Vircoulon.
« Les sanctions économiques ne sont pas efficaces car elles sont rapidement contournées. Outre un défaut de capacité, une intervention armée se heurte au principe de la souveraineté que défendent bon nombre de ces pays. » Agir contre des putschistes n’est pas dans son ADN, pense le chercheur qui conclut : « La Cedeao obtiendra sans doute de la junte la libération du président Bazoum qui sera mis dans un avion pour l’étranger. »
Après avoir renoncé à son ultimatum, l’organisation africaine risque en tout cas de sortir considérablement fragilisée de la crise au Niger. « Le processus d’intégration régionale est en panne depuis pas mal d’années déjà, observe Caroline Roussy, chercheuse à l’Institut de relations internationales et stratégiques (Iris). Les négociations sur une monnaie commune sont au point mort. La Cedeao va devoir se réinventer dans une période très difficile. »
Création du CCR
Dans une déclaration publiée hier soir, des cadres affiliés à l’ancien régime de « la renaissance », ont annoncé la création d’un Conseil de la Résistance pour la République (CCR). Parmi les dirigeants de ce mouvement qui entend contribuer « au rétablissement de l’ordre constitutionnel et la plénitude de la Présidence de Mohamed Bazoum dans ses fonctions », l’ancien ministre Rhissa Ag Boula, figure historique de l’ancienne rébellion touarègue des années 80-90.
Pour l’heure, le mouvement se veut politique mais prévient qu’il « se donnera tous les moyens nécessaires pour éliminer cette pratique perfide de remise en cause des choix des peuples par des militaires véreux et irresponsables », en référence à la destitution du régime de Bazoum par une junte militaire (CNSP).
A tort ou à raison, l’initiative a vite fait de raviver certaines pages sombres de l’histoire du Niger et a donc suscité de commentaires acerbes sur les réseaux sociaux où pour le moment, s’active le mouvement.
c’est l’ancien ministre d’Etat à la Présidence et ex-chef rebelle, Rhissa Ag Boula, qui a publié une « Déclaration constitutive du Conseil de la Résistance pour la République (CCR) », dans laquelle il rappelait au vitriol les évènements du 26 juillet 2023, le jour où selon lui, « le Niger a été victime d’une tragédie orchestrée par ceux qui sont pourtant chargés de l’en préserver ».
Dans la déclaration et après avoir sévèrement critiqué les membres du Conseil national pour la sauvegarde de la patrie (CNSP), le groupe d’officiers qui a renversé le régime de Bazoum Mohamed, l’ancien ministre a confirmé la création du CCR, « un mouvement politique qui œuvrera, à rétablir l’ordre, la légalité constitutionnelle et le Président Bazoum Mohamed dans la plénitude de ses fonctions ».
Après avoir aussi lancé par la même occasion, « un appel aux militaires respectueux de leur serment et du peuple à mettre un terme à la mutinerie et à procéder, sans délai, à l’arrestation du Général Tchiani »; il a mis en garde que « le CCR se donnera tous les moyens nécessaires pour éliminer cette pratique perfide de remise en cause des choix des peuples par des militaires véreux et irresponsables ».
D’ores et déjà, a il en outre annoncé, « le CRR apporte son soutien indéfectible à la CEDEAO et aux partenaires internationaux pour l’intervention planifiée pour assurer le retour à l’ordre constitutionnel au Niger et reste à son entière disposition à toute fin utile ». (SPM/2023)