24 AOÛT (ASPAMNEWS)-Deux mois précisément après avoir défié le Kremlin en envoyant ses mercenaires à l’assaut de Moscou, Evgueni Prigojine, qui avait déstabilisé la présidence de Vladimir Poutine, est mort dans le crash d’un avion mercredi 23 août. Une disparition aux allures de revanche pour le Kremlin et la haute hiérarchie militaire.
Mercredi soir, dix corps ont été retrouvés sur les lieux du crash, près du village de Koujenkino, dans la région de Tver, située entre Moscou et Saint-Pétersbourg. Mais les autorités russes s’abstenaient encore, à ce moment, de confirmer officiellement son décès. Des procédures d’identification devaient débuter jeudi matin, mais, au vu de l’état des corps, celles-ci pourraient prendre du temps et requérir des expertises ADN.
« L’élimination spectaculaire de Prigojine et du commandement de Wagner deux mois après (leur) tentative de coup d’État est un signal de Poutine aux élites russes avant les élections de 2024 », a affirmé sur X (ex-Twitter) Mykhaïlo Podoliak, estimant que « Poutine ne pardonne à personne ».
Les télévisions publiques ont montré le président dans un impressionnant décor pour célébrer le 80e anniversaire de la bataille de Koursk au cours de la Deuxième Guerre mondiale. Sur scène, confiant et presque souriant, Vladimir Poutine a simplement salué le « dévouement » et la « loyauté » des soldats russes en Ukraine.
C’est notamment pendant la longue et sanglante bataille pour Bakhmout, en Ukraine, que le conflit d’Evgueni Prigojine avec les hauts responsables militaires russes s’était envenimé. Jusqu’à peu, le chef des Wagner continuait de les accuser d’incompétence.
La première suspecte derrière « l’accident » d’avion, qui selon plusieurs experts aurait été visé par un tir de DCA, est donc la haute hiérarchie militaire, qui avait été la cible directe de l’insurrection d’Evgueni Prigojine les 23 et 24 juin dernier.
Statut de paria
Hasard ou non d’une mise en scène soigneusement orchestrée, le crash du jet privé reliant Moscou à Saint-Pétersbourg est intervenu deux mois jour pour jour après cette énigmatique « rébellion », spectaculaire mais vaine. Elle visait explicitement le ministre de la défense et le chef d’état-major russes mais elle avait, de facto, humilié et affaibli le Kremlin de Vladimir Poutine.
Le président avait ce jour-là qualifié Evgueni Prigojine de « traître » – sans le nommer. Malgré son statut de paria, le chef Wagner vivait depuis en sursis, tout en multipliant, semble-t-il, les allers et retours entre l’Afrique, son champ de bataille initial, la Biélorussie, sa terre d’exil officiel, et la Russie.
Parmi les autres victimes du crash figure Dmitri Outkine, le bras droit d’Evgueni Prigojine. Connu pour ses sympathies néonazies, il était le vrai fondateur de la milice Wagner. Jusqu’à peu décorés en « héros », les deux hommes forts de Wagner sont désormais présumés morts. Et leur principal soutien présumé dans l’armée, le « général Armageddon » Sergueï Sourovikine, redouté comme les chefs Wagner pour ses méthodes brutales, a quant à lui été démis de ses fonctions quelques heures avant le crash.
« Du point de vue de Poutine, ainsi que pour de nombreux membres des forces de sécurité et de l’armée, le décès de Prigojine devrait être une leçon pour tous ses partisans potentiels. Cela effraiera plutôt qu’inspirera des protestations, note sur Telegram Tatian Stanovaya, politologue de Rpolitik. Il y aura du ressentiment et du mécontentement, mais aucune conséquence politique. »
« Même en enfer, il sera le meilleur ! »
Sur les réseaux sociaux, partisans et lieutenants de Wagner n’ont pas tardé à réagir. « Evgueni Prigojine, chef du groupe Wagner, héros de la Russie et véritable patriote de sa patrie, a été tué à la suite des actions de traîtres à la Russie. Mais même en enfer, il sera le meilleur ! », peut-on lire sur Grey Zone, un canal Telegram réputé proche du groupe paramilitaire. « Un accident semble peu probable. C’est sans doute un règlement de compte entre clans… », confie à La Croix une source généralement bien informée auprès du Kremlin.
« Après sa mutinerie, j’avais le sentiment qu’il allait mal finir. Le Kremlin ne pardonne pas de telles choses », ajoute un ex-haut responsable du Kremlin qui a gardé d’influents contacts au sommet. Dès juillet, tout en ironie, il prévenait : « Prigojine doit faire attention à lui. Et à ce qu’il mange… »
Mais, pour lui, pas de doute : la mort d’Evgueni Prigojine n’affectera pas la situation politique en Russie. Héros passager, le chef Wagner ne figurait plus sur les radars depuis son insurrection. Selon les données d’un sondage du centre indépendant Levada, il avait récemment quitté le top des dix hommes politiques que les Russes jugent dignes de confiance.
Rappelons que le patron du Groupe Wagner, Evgueni Prigojine, 62 ans, se trouvait à bord d’un avion privé qui s’est écrasé, mercredi 23 août, dans la région de Tver, à environ 180 kilomètres au nord-ouest de Moscou. De nombreuses zones d’ombre et des interrogations entourent les circonstances et l’origine de l’accident. Voici ce que l’on sait. L’avion, immatriculé RA-02795, a décollé de Moscou en direction de Saint-Pétersbourg entre 16 heures et 17 heures (heure de Paris). Selon Rossaviatsia, l’appareil appartenait à la société MNT-Aero, spécialisée dans l’aviation d’affaires. (SPM/2023)