NIGER: la population sous le joug des sanctions, l’’ambassadeur Sylvain Itté sous le joug de Macron

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NIAMEY, 18 SEPTEMBRE (ASPAMNEWS)-A Niamey, tout le monde porte sa croix. Que ce soit la population qui croupit sous le poids de la misère à causes des sanctions « sauvages », ou l’ambassadeur de France au Niger Sylvain Itté, qui est otage de son propre président Macron, ou encore les militaires français établis au Niger, tout le monde a son compte.

La population, diversement touchée selon les catégories sociales, tend à minimiser dans son ensemble l’effet des sanctions. Mais l’inquiétude pointe sur le versement des salaires fin septembre en l’absence de liquidités, et la non-disponibilité de l’aide pour les ONG qui tirent la sonnette d’alarme.

«Les sanctions, ça nous a rendus plus forts. On est prêts à labourer la terre avec nos mains s’il le faut pour ne plus dépendre de l’extérieur.» Barbiche grisonnante, sandales et tête haute sous son calot finement brodé, Ibrahim Abdoulaye n’est pas un militant souverainiste. Juste un commerçant nigérien piqué dans son orgueil. Son pays, parmi les plus pauvres du monde, a été lourdement sanctionné par la Communauté économique des Etats de l’Afrique de l’Ouest (Cédéao) et l’Union économique et monétaire ouest-africaine (Uemoa).

L’homme marne au pied du pont Kennedy de Niamey où des montagnes de courges ovales jaune-vert colorent la rive sud du fleuve Niger. Il représente l’association des vendeurs de ces «aliments très bons pour les carences en vitamines et pas chers», convoyés par pirogues motorisées. Et un mois et demi après la fermeture des frontières terrestres, son commerce n’est «pas du tout affecté par les sanctions». Sa vie personnelle non plus, prétend-il.

Des stocks de marchandises et d’aliments pas renouvelés

L’inflation ? «Je vis bien.» Les coupures cycliques de courant consécutives à la suspension de la fourniture d’électricité par la société nigériane qui délivrait jusque-là 70% de l’énergie distribuée au Niger ? «J’ai grandi dans un village sans électricité. On est pauvres, on est habitués. Ils n’ont qu’à couper pour cent ans s’ils veulent.» 

Quant à savoir s’il casse parfois l’embargo – il se susurre qu’une partie des courges débarquées viendraient du Nigeria – Ibrahim Abdoulaye croise les mains : «Ça, c’était avant, en cas de rupture, mais depuis des années, elles sont produites en abondance au Niger.»

A 6 kilomètres de là, au marché de gros de Djémadjé, les produits nigérians garnissent pourtant les stands. Tomates, piments, pommes de terre, choux, oignons. La circulation des cultures maraîchères se joue de la porosité des 1 500 km de frontière entre le Niger et son grand voisin du sud.

Dans l’allée centrale de terre ramollie par la pluie, un camion stationne, surchargé de paniers de tomates rondes du Togo. Les allongées sont plus loin, en provenance du Bénin, comme les poivrons et les piments verts. Empilés sur des bâches, il y a aussi des ignames du Ghana. Autant de denrées qui ont traversé la portion du fleuve Niger frontalière avec le Bénin.

Ce commerce informel, s’il concurrence le produit star emmailloté dans des sacs de 120 kg, le violet de Galmi (un oignon cultivé dans la basse vallée de la Tarka, croissant fertile dans le sud du Niger, et habituellement exporté en masse en Côte-d’Ivoire), est vital.

La forte demande se heurte au déficit des stocks. Leur niveau est «faible pour les produits locaux et très faible pour les produits importés» en raison de la fermeture des frontières, selon le Système d’information sur les marchés agricoles nigérien. Résultat, une hausse des prix du mil (+10%), du maïs (+14%), du riz local (+15%) dès le mois d’août, et qui perdure en septembre.

 «Les commerçants ont été mis devant le fait accompli des sanctions inopinées et immédiates. Ils n’ont pas pu renouveler leurs stocks, analyse l’économiste Adamou Louche. Cela risque de se compliquer également pour le versement des salaires des fonctionnaires.» En juillet et août, ils ont été payés «par le biais de l’effort de mobilisation des ressources internes», a déclaré le Premier ministre Lamine Zeine, le 4 septembre.

Mais les liquidités manquent cruellement en raison des sanctions de l’Uemoa (suspension des transactions commerciales et financières, gel des avoirs financiers et monétaires de toutes les instances étatiques). Des dégraissages du personnel administratif contractuel sont à l’étude.

Mise en place d’exemptions humanitaires

L’heure est à l’austérité aussi pour Aboubakar Ango, vétérinaire au ministère de l’Elevage. Deux femmes et quatorze enfants comptent sur son salaire. Les coups durs, il connaît. Mais «on n’avait pas mesuré l’ampleur des sanctions». Sous le manguier de la cour de sa maison de Soudouré, en périphérie de Niamey, un tapis et trois chaises accueillent les visiteurs.

Une marmite est au feu, une autre suspendue au mur extérieur. L’inquiétude, à deux semaines de la rentrée scolaire, se dit pudiquement. Il est question de «petits sacrifices» pour remplir l’assiette et «réajuster le train de vie», de «solidarités» dans le quartier. Un commerçant qui fait crédit, «le robinet d’eau qui reste ouvert au voisin». 

Pour remédier aux coupures de courant, il a investi dans un kit solaire, mais pas assez puissant pour brancher un frigo. Les vaccins pour les animaux qu’il soigne périment, alors que de nombreux médicaments ne sont plus disponibles en raison des sanctions. Moue amère : «Qu’est-ce qu’un animal a à voir avec le coup d’Etat ?»

Le secteur de la santé paie un lourd tribut. Plusieurs pharmacies de Niamey sont en rupture d’antidouleurs, d’insuline injectable, de chlorure de sodium et de potassium utilisés dans les hôpitaux. Cet embargo sur les médicaments et les denrées de première nécessité viole le cadre de prévention des conflits de la Cédéao de 2008, selon les plaintes déposées par l’Etat du Niger les 29 et 31 août devant les cours de justice de l’Uemoa et de la Cédéao.

Autres illégalités pointées : le non-respect du délai d’entrée en vigueur des sanctions, en principe soixante jours après leur publication au journal officiel, la fermeture des frontières terrestres qui ne figure pas dans la liste des sanctions prévues dans les textes communautaires, au même titre que la suspension de la fourniture d’énergie ou l’extension des gels des avoirs ou des interdictions de voyager aux familles des auteurs du coup d’Etat. La liste est longue. Comme si ces mesures avaient été édictées dans la précipitation.

A la demande de l’ONU, la Cédéao aurait consenti à la mise en place d’exemptions humanitaires. Le Bénin, où le Programme alimentaire mondial (PAM) compte à lui seul 32 camions (dont 10 destinés à Dori au Burkina Faso) bloqués à la frontière nigérienne, aurait approuvé cette mesure dans un premier temps.

Mais à ce jour, les cargaisons contenant surtout des produits nutritionnels demeurent bloquées. Or, plus de 4,3 millions de personnes ont besoin d’aide humanitaire. Selon le PAM, 90 000 enfants courent le risque de tomber dans une situation de malnutrition sévère ces prochains jours faute de ravitaillement et d’activités de prise en charge. Médecins sans frontières a appelé de son côté à «rapidement rompre avec toute logique de punition collective».

l’ambassadeur de France « otage »,

Devant l’entrée de l’ambassade de France, deux pick-up de la brigade anticriminalité nigérienne montent la garde à l’ombre d’un arbre. Les policiers guettent, un œil sur le portail, l’autre amusé par le pied de grue des journalistes campés à côté, caméras pointées vers les murs barbelés. Le ballet d’un troupeau de bœufs passe, rompant quelques instants l’ennui ambiant.

Dans l’enclave aussi, le temps se fait long. Cela fait bientôt deux mois, depuis le coup d’État de l’armée le 26 juillet, que l’ambassadeur Sylvain Itté y est retranché. Fin août, le diplomate français, désigné persona non grata par les putschistes, s’est vu retirer son immunité et son visa diplomatique. Depuis, il ne peut plus sortir de l’enceinte (protégée par la convention de Vienne) sous peine d’être expulsé du pays.

La police contrôle chaque entrée et sortie, empêchant l’accès à toute personne extérieure. Le 4 septembre, les ambassadeurs de l’Union européenne et d’Espagne ont été bloqués à la porte. Vendredi 15 septembre, le président Emmanuel Macron a déclaré que l’ambassadeur de France et les membres diplomatiques étaient »pris en otage » dans l’emprise. « On empêche de livrer de la nourriture, ils mangent avec des rations militaires », a-t-il déploré, tout en réitérant son soutien au président déchu, Mohamed Bazoum.

À Niamey, l’étau ne cesse de se resserrer

Alors que les militaires accentuent la pression sur l’ambassade, la France demeure inflexible. « Je ferai ce que nous conviendrons avec le président Bazoum, parce que c’est lui l’autorité légitime, et je lui parle chaque jour », a martelé Emmanuel Macron, questionné sur un éventuel rapatriement du diplomate. Sauf qu’à Niamey l’étau ne cesse de se resserrer sur l’enclave.

Selon nos informations, les livraisons de nourriture, d’eau et de fioul y ont été interdites, tandis que le fournisseur d’accès à Internet a coupé sa connexion le 13 septembre. « Malgré une situation compliquée qui se dégrade depuis le 28 août, nous sommes toutefois en sécurité à l’intérieur de l’ambassade », indique Sylvain Itté, joint par La Croix, ajoutant qu’il continue de travailler à son poste.

Début septembre, un camion de déménagement, affrété pour récupérer les affaires de membres du personnel restés à Niamey, avait été arrêté puis fouillé par les forces de l’ordre. À l’intérieur, un uniforme burkinabé appartenant à un coopérant précédemment en poste au Burkina Faso avait déclenché une campagne de fausses informations sur les réseaux sociaux, accusant la France de mener des opérations clandestines dans la région. Le directeur de l’entreprise de déménagement, un élu consulaire, avait ensuite été arrêté, détenu six jours à la prison civile de la capitale avant d’être libéré, le 13 septembre.

« La France devra partir »

Au Niger, alors que le bras de fer s’enlise entre Paris et Niamey, la France, qui soutient l’option d’une intervention militaire ouest-africaine, apparaît de plus en plus isolée au Sahel, après dix ans de lutte contre le terrorisme. Après le Mali et le Burkina Faso, deux pays voisins également dirigés par des militaires arrivés par des coups d’État, le Niger a rompu le 3 août ses accords de défense avec l’ex-puissance coloniale, dont quelque 1 500 soldats sont déployés dans le pays face à la menace djihadiste.

Depuis, les manifestants encerclent la base aérienne 101, où sont stationnés une partie des militaires dans la capitale. Le M62, une coalition de la société civile opposée à l’armée française, a appelé à un « sit-in permanent » jusqu’au départ des forces. « On s’installe dans un conflit gelé, ce statu quo pourrait durer des mois, en fin de compte la France devra partir », s’agace une source diplomatique.

Pendant ce temps, la junte du Conseil national pour la sauvegarde de la patrie (CNSP) joue la montre et consolide un peu plus son assise. Après avoir nommé de nouveaux gouverneurs des régions et formé son gouvernement, le nouvel homme fort autoproclamé de Niamey, le général Abdourahamane Tiani, a annoncé la mise en place d’un « dialogue national inclusif » avec toutes « les forces vives de la nation », afin de définir les priorités et la durée de la transition fixée à trois ans maximum. (SPM/2023)

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