ARGENTINE: le président Javier Milei confronté à une première grève générale

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BUENOS AIRES, 25 JANVIER (ASPAMNEWS)- Quarante-cinq jours seulement après son élection, le président argentin Javier Milei est confronté à l’épreuve de la rue. Selon la CGT, qui organise la mobilisation, 1,5 million de manifestants se sont réunis mercredi 24 janvier dans toute l’Argentine pour protester contre les premières mesures du gouvernement Milei. Les causes de la colère sont nombreuses : la perte de pouvoir d’achat, la mise en œuvre de mesures répressives, ou encore le mépris de la démocratie et du Parlement.

Du jamais-vu depuis le retour à la démocratie, en 1983. La principale centrale syndicale du pays, la Confédération générale du travail (CGT, revendiquant 7 millions d’affiliés) et d’autres syndicats et organisations de gauche appelaient à des rassemblements massifs dans Buenos Aires et dans d’autres villes du pays, contre le démantèlement de l’Etat voulu par le gouvernement.

« Quand tout sera privé, nous serons privés de tout », « La patrie n’est pas à vendre », « Manger n’est pas un privilège » : les pancartes relayaient l’opposition aux mesures libérales portées par le gouvernement. Au total, 80 000 personnes ont défilé dans la capitale du pays, selon la police, plus de 600 000 selon la CGT. Une mobilisation « pacifique », selon ce que rapporte au Monde le syndicat, alors que, depuis des semaines, le gouvernement durcit son discours sécuritaire, en menaçant, par exemple, de supprimer les aides sociales aux manifestants coupant la circulation.

« Cette grève est très rapide, car Javier Milei l’a aussi été dans ses mesures, avec des changements qui touchent directement les syndicats. La CGT souhaite marquer le terrain. Elle y est parvenue, car la mobilisation dans la rue a été importante », analyse Facundo Cruz, politologue à l’université de Buenos Aires. 

Deux projets de loi mis en cause

Deux projets de loi, massifs, sont principalement mis en cause par les manifestants. Le DNU, déjà en vigueur depuis la fin décembre, est un décret « d’urgence publique » mis en place par le président de la République.

Il pose le cadre général des réformes et est censé permettre une dérégulation totale de l’économie, mesure phare du président ultralibéral. Fort de 366 articles, le décret a déjà été visé par plus de 60 recours en justice invoquant son inconstitutionnalité.

Le second projet contesté, actuellement en débat au Parlement, est la « loi omnibus ». Selon Javier Milei, elle est censée redonner leur liberté aux Argentins. Plus générale que le DNU, elle compte plus de 300 pages.

Le premier article donne la couleur : « Cette loi contient des délégations législatives au pouvoir exécutif national pour les situations d’urgence publique dans les domaines économique, financier, fiscal, social, de la sécurité sociale, de la sécurité, de la défense, des tarifs, de l’énergie, de la santé et du social ».

Un cocktail fourre-tout qui « transforme l’Argentine en quasi-autocratie » dénonce Franco Metaza, parlementaire argentin du Mercosur et soutien de l’opposition péroniste. L’exécutif posséderait en effet des facultés extraordinaires élargies lui octroyant un pouvoir décisionnaire supérieur aux pouvoirs législatif et judiciaire.

« Le pays n’est pas à vendre »

« Les mesures contenues dans la loi omnibus et le DNU ouvrent la possibilité de privatiser les entreprises nationales et les ressources importantes du pays » déplore Diego Molinas, militant péroniste. Parmi les principales revendications des manifestants, la question de la souveraineté nationale est l’une des plus partagées.

Slogan de la grève, « le pays n’est pas à vendre » est devenu le mot d’ordre des opposants à la politique de Milei. Un mot d’ordre que rejettent certains partisans de Milei. Pour eux, les péronistes avaient eux-mêmes mis en danger la souveraineté économique du pays. Reste que la loi omnibus ouvre la porte à des ventes de terres pleines de ressources à des entreprises et investisseurs étrangers.

La perte de pouvoir d’achat est aussi une grande inquiétude pour les manifestants. La dévaluation de 50 % du peso argentin effectuée par Milei deux jours après son accession au pouvoir n’a pas été suivie d’une baisse des prix.

« La faim se voit sur le visage de mes amis et de certains parents, qui n’ont plus assez pour payer leur loyer, s’inquiète Diego Molinas. Beaucoup doivent revenir vivre chez leurs parents et aujourd’hui, les retraités vivent avec quelques euros par jour. »

Pour le président, une sévère politique d’austérité est le seul moyen d’endiguer la crise. Depuis son arrivée au pouvoir, 800 000 nouveaux travailleurs sont sujets à l’impôt sur le revenu. Le résultat d’un abaissement du seuil minimum. Les pensions de retraite, elles, sont aussi sources de tension.

Faire face aux menaces de répression

En dehors du volet économique de la loi, l’augmentation des sanctions et de la répression contre les manifestants cristallise les débats. Depuis le début du mandat, les libertariens ont essayé de faire passer de nombreuses mesures pour restreindre les tentatives de protestation : interdiction des réunions de plus de 3 personnes dans les espaces publics, manifestation autorisée seulement sur les trottoirs, volonté de faire payer le coût de surveillance policière aux organisateurs des mobilisations, ou élargissement de la notion de légitime défense pour les policiers. « Cela nous rappelle la dictature », s’alarme Diego Molinas.

Avant la grève du 24 janvier, le gouvernement, a même annoncé la création d’un numéro vert pour dénoncer les tentatives de blocages. Mais ces tentatives de pression « ne font pas peur » aux manifestants, répond Diego Molinas.

« Quand tu es dans ta maison et que tu n’as rien à manger, la peur [de manifester] disparaît » témoigne-t-il. Ce mercredi, les transports publics étaient perturbés, les avions bloqués à terre, et un grand nombre de rendez-vous médicaux annulés. « Le point de départ d’un processus de résistance majeur », veut croire Franco Metaza.

Reste que le parti au pouvoir a réussi, tard dans la nuit précédant la grève, à valider le projet de loi omnibus lors de la séance plénière des commissions. L’initiative pourra désormais être débattue à partir de jeudi 25 janvier, lors d’une séance exceptionnelle. Le porte-parole du gouvernement espère un vote « sans plus tarder ». (SBJ/2024)

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