SENEGAL-DIALOGUE: 2 juin prochain pour la présidentielle, les sages dans l’embarras

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DAKAR, 28 FEVRIER (ASPAMNEWS)- Les participants au dialogue ont proposé la date du 2 juin prochain pour la tenue de la Présidentielle. Mais au vu de la date retenue après les concertations, les sept sages risquent de se retrouver dans une situation inédite. Pour l’opposition, cette option signifierait prolonger illégitimement le mandat de Macky Sall.

Les participants au dialogue national ont proposé à ce que le chef de l’Etat prenne un décret convoquant le corps électoral le 2 juin prochain pour la tenue de l’élection présidentielle initialement fixée au 25 février, a-t-on appris, mardi, de plusieurs membres de la commission chargée de faire de réfléchir sur le sujet.

Les commissions mises en place dans le cadre du dialogue national, ouvert lundi, en présence du chef de l’Etat, ont travaillé à huit clos sur une proposition de date pour la tenue de l’élection présidentielle et les voies et moyens de déterminer le processus à mettre en œuvre à l’issue le 2 avril prochain, date coïncidant avec la fin du mandat du chef de l’Etat sortant.

Parmi les propositions, il y a aussi le maintien de la liste des 19 candidats retenus par le Conseil constitutionnel et la réouverture partielle du processus électoral pour réexaminer les dossiers des candidats dit « spoliés » comme celui de Karim Wade. Les participants au dialogue préconisent également que le Président sortant reste au pouvoir jusqu’à la tenue de la présidentielle.

En effet, le Président de la République avait convoqué avant-hier, lundi un dialogue national afin de trouver un consensus sur le processus électoral. Au premier jour de la rencontre, deux commissions avaient été mises en place pour mener les travaux, l’une chargée de réfléchir sur la date de la tenue de l’élection et dirigée par le ministre de l’Intérieur Sidiki Kaba et l’autre sous la houlette du ministre des Affaires étrangères, Ismaila Madior Fall, assurant l’intérim de la ministre de la Justice, qui se penchait sur la poursuite du processus électoral après le 2 avril.

Les travaux de la commission chargée de réfléchir sur la date de la prochaine présidentielle étaient dirigés par le ministre de l’Intérieur, Sidiki Kaba.

Une autre commission, conduite par le ministre des Affaires étrangères, Ismaila Madior Fall, assurant l’intérim de la ministre de la Justice, a réfléchi sur les modalités suivant lesquelles le processus électoral se poursuivrait après le 2 avril.

Des chefs religieux, représentants de syndicats et d’organisations de la société civile et des candidats recalés à l’élection présidentielle ont répondu à l’appel du président de la République à dialoguer afin de permettre au pays de trouver les moyens de résoudre la crise politique qu’il traverse depuis l’annonce du report de l’élection présidentielle du 25 février 2024.

Des responsables du Parti démocratique sénégalais (PDS), la formation politique à l’origine des accusations portées sur certains des membres du Conseil constitutionnel qui ont procédé au contrôle de la régularité des candidats à l’élection présidentielle, ont participé à la rencontre.

Les accusations du PDS ont été portées après que le dossier de candidature du leader de cette formation, Karim Wade, a été déclaré irrecevable en raison de la double nationalité sénégalaise et française du fils de l’ancien président Abdoulaye Wade.

Le Premier ministre Amadou Bâ, candidat de la coalition Benno Bokk Yaakaar (majorité), des candidats recalés et plusieurs autres acteurs politiques ont également fait le déplacement au Centre de conférence de Diamniadio, où se tient ces concertations.

Seize des dix-neuf candidats retenus par le Conseil constitutionnel ont fait part de leur décision de ne pas participer à cette rencontre, de même que plusieurs franges d’acteurs se réclamant de la société civile.

Cette décision est une des matérialisations de la crise politique que le pays traverse depuis l’annonce du report de l’élection présidentielle qui devait déboucher sur le choix d’un successeur au président Macky Sall, au pouvoir depuis 2012.

La convocation de cette concertation est le procédé choisi par Macky Sall préalablement à la détermination d’une nouvelle date pour l’élection présidentielle.

Il s’était notamment engagé le 16 février à “pleinement exécuter” une décision du Conseil constitutionnel invitant les autorités compétentes à fixer une date pour l’élection présidentielle, après que la juridiction a constaté l’impossibilité de l’organiser le 25 février, comme initialement prévue.

Dans cette même décision, le Conseil constitutionnel a jugé “contraire à la Constitution”, l’adoption par l’Assemblée nationale, d’une loi repoussant au 15 décembre prochain la tenue du scrutin.

Cette loi parlementaire a été votée le 5 février, deux jours après que le président de la République a annoncé, lors d’un discours à la nation, l’abrogation du décret par lequel il avait convoqué les électeurs aux urnes le 25 février.

En prenant cette décision, le 3 février, il a invoqué des soupçons de corruption concernant des magistrats parmi ceux qui ont procédé à l’examen des 93 dossiers de candidature et jugé recevables 20 d’entre eux.

S’adressant à la nation, le chef de l’État a souhaité l’organisation d’un “dialogue national ouvert, afin de réunir les conditions d’une élection libre, transparente et inclusive dans un Sénégal apaisé”.

Selon la loi électorale, il faut être de nationalité exclusivement sénégalaise pour briguer la magistrature suprême au Sénégal.

Les membres du groupe parlementaire Liberté et démocratie avaient demandé et obtenu la mise en place d’une commission d’enquête parlementaire pour faire la lumière sur les allégations de corruption et de “connexions douteuses”.

L’ouverture d’une information judiciaire a mis fin aux travaux de cette commission d’enquête parlementaire chargée de faire la lumière sur les accusations portées par le PDS contre des juges du Conseil constitutionnel.

Quatre personnes ont perdu la vie dans les violences qui ont émaillé les manifestations de protestation contre le report de l’élection présidentielle.

Ces victimes ont été enregistrées à Dakar, Saint-Louis et Ziguinchor lors de heurts ayant opposé des protestataires aux forces de l’ordre.

Ces évènements ont été suivis quelques jours plus tard par une vague de libérations d’activistes et de militants arrêtés dans le cadre d’activités en lien avec leur engagement politique.

Une fausse interprétation de l’article 36-2

L’interprétation donnée à ce texte est, selon le juriste-constitutionnaliste Mawa Ndiaye, fausse. Il explique que « pour une meilleure compréhension des dispositions des articles 35 et 36, il faut faire une lecture croisée avec les dispositions de l’article 31 ». Lequel article ne comportant « que deux alinéas », donc « deux situations juridiques ».

« Une situation qui prévaut en temps normal et une autre en circonstance de vacance avec l’empêchement, le décès ou la démission de l’autorité », poursuit le juriste.
Le premier alinéa de l’article 31 stipule : « Le scrutin pour l’élection du président de la République a lieu 45 jours francs au plus et 30 jours francs au moins avant l’expiration du mandat du président de la République en fonction. ». 
« Les délais ne constituant que des bornes fixent l’intervalle, la fourchette (la période) à l’intérieur de laquelle doit se tenir le scrutin », Mawa Ndiaye explique que l’on peut alors retenir deux choses. « Premièrement, la date d’expiration du mandat du président de la République en fonction est connue. Ce qui est indiscutable.

Alors que, deuxièmement, la date du scrutin n’est pas fixe, mais est définie dans une fourchette, en fonction de la date d’expiration du mandat du président en fonction ». 
En clair, le « nouveau président doit forcément être élu avant l’expiration du mandat du président en fonction », c’est-à-dire le 2 avril.
Selon le juriste, c’est dans une logique d’éviter « tout dysfonctionnement durant cette période où nous aurons deux présidents ; un président en fonction, dont le mandat n’est pas encore arrivé à expiration et un président fraîchement élu qui n’a pas encore été installé dans les conditions fixées par l’article 37 de la Constitution que l’article 36 trouve son importance ».

L’alinéa 2 de l’article 36 dispose : « Le président de la République en exercice reste en fonction jusqu’à l’installation de son successeur. » « Une autre interprétation de l’écriture de cette disposition la rendrait ‘légistiquement’ reprochable, car elle confirme la non-expiration du mandat de l’un, c’est-à-dire le président toujours en fonction et l’élection de l’autre qu’il appelle successeur. Le successeur est celui qui est élu. L’article 36 régit une situation précise : la seule situation de l’élection d’un président et la période avant son installation. Point et final », tranche le constitutionnaliste.

« Le Conseil peut fixer une date »

Le président Macky Sall avait, de son côté, annoncé qu’après les conclusions du dialogue national, il saisirait le Conseil constitutionnel pour avis. Rappelons que ces mêmes sages avaient, dans leur décision du 15 février dernier au considérant 14, précisaient « que la juridiction constitutionnelle a déjà décidé, d’une part, que la durée du mandat du président de la République ne peut être réduite ou allongée au gré des circonstances politiques, quel que soit l’objectif poursuivi ; que le mandat du président de la République ne peut être prorogé en vertu des dispositions de l’article 103 précité ; que la date de l’élection ne peut être reportée au-delà de la durée du mandat ; que, d’autre part, la loi attaquée introduit dans la Constitution des dispositions dont le caractère temporaire et personnel est incompatible avec le caractère permanent et général d’une disposition constitutionnelle ».

Par ailleurs, le 26 février dernier, 16 candidats avaient déposé des requêtes « aux fins de constater et de remédier à la carence du président de la République qui s’abstient de fixer la date de l’élection présidentielle en refusant ainsi de donner plein effet à la décision du Conseil constitutionnel nº1/C/2024 du 15 février 2024 ».

Réunis au sein du FC25, ces candidats ont simplement demandé à l’institution dirigée par Mamadou Badio Camara de fixer une date pour la Présidentielle. Une situation possible, d’après toujours le Constitutionnaliste.

« En parlant de meilleurs délais, on peut comprendre que le Conseil constitutionnel voulait donner la primeur à l’autorité de choisir une date, d’autant plus qu’on était toujours dans les délais raisonnables évoqués par la Constitution. L’article 31 donne une fourchette de 30 jours minimum et 45 jours maximum pour fixer la date. Tant qu’on est dans cette fourchette, le Conseil peut s’abstenir de prendre une date, mais au-delà du 2 mars, le Conseil peut prendre sur lui la responsabilité de choisir une date », conclut le constitutionnaliste qui ne manque pas de préciser que les textes ne prennent pas en charge la situation dans laquelle risque d’être le pays au cas où la date de la Présidentielle est maintenue pour le 2 juin, soit trois mois après la fin du mandat de Macky Sall.

La proposition faite mardi 27 février par le dialogue national voulu par le président Macky Sall de reporter l’élection présidentielle au 2 juin suscite des débats. En effet, une partie de l’opposition critique vivement cette « proposition illégale et non négociable » car elle créerait un vide juridique : le mandat du président Sall arrivant à échéance le 2 avril, il resterait en fonction malgré tout jusqu’à la nouvelle date de scrutin.

« Cette proposition est totalement illégale et non négociable », a affirmé Amadou Ba, responsable de la Coalition « Diomaye président » qui soutient le candidat Bassirou Diomaye Faye, emprisonné, cité par RFI. Selon lui, « reporter l’élection à quatre mois supplémentaires avec en supplément la proposition que le président Macky Sall reste au pouvoir durant cette période est une fraude aux décisions du Conseil constitutionnel ». Ce dernier avait en effet décidé que le scrutin ne pouvait se dérouler au-delà du mandat présidentiel se terminant le 2 avril.

Du côté du Parti démocratique sénégalais (PDS), qui a participé au dialogue, on se félicite car son candidat Karim Wade, recalé par le Conseil constitutionnel, pourrait voir sa candidature réintégrée. Cependant, pour Babacar Gueye, constitutionnaliste et membre du collectif « Aar Sunu Élections », qui a boycotté le dialogue, fixer la date au 2 juin serait remise en cause la décision du Conseil constitutionnel.

Face à ces critiques, Maguette Sy, secrétaire nationale chargé des élections au parti au pouvoir interrogée par RFI, estime qu’elles relèvent de la « mauvaise foi ». Selon elle, « les choses vont suivre leur cours » et c’est au président Sall qu’il reviendra in fine, par décret, de fixer la date du scrutin. (AKL/2024)

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