TCHAD-PRESIDENTIELLE: avec 61,03% de suffrages, Mahamat Idriss Déby se dit désormais président de tous les Tchadiens

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N’DJAMENA, 10 MAI (ASPAMNEWS)- Le général Mahamat Idriss Déby Itno, proclamé chef de l’Etat tchadien il y a trois ans par l’armée, a remporté la présidentielle de lundi avec 61,03% des suffrages, selon les résultats officiels provisoires de la commission électorale jeudi. Il a battu, selon les résultats de l’organe chargé de la proclamation des résultats, son Premier ministre Succès Masra qui n’a recueilli que 18,53% des voix, selon ces résultats qui doivent être validés par le Conseil constitutionnel.

Le vainqueur de l’élection présidentielle, Mahamat Idriss Deby, a fait une déclaration vidéo cette nuit pour réagir à l’annonce de sa victoire, à l’issue du scrutin du 6 mai 2024. A la fin d’une cérémonie de réjouissance réunissant ses partisans à N’Djamena, la sécurité a demandé aux uns et aux autres de se disperser, informant que le président élu ne viendrait pas.

“Au vu de cette large victoire, je suis désormais le président élu de tous les Tchadiens”, a déclaré le président élu, selon les résultats provisoires de l’Agence nationale de gestion des élections (ANGE).

“J’ai une pensée particulière pour les candidats malheureux qui ont perdu la compétition. Je salue leur concours salvateur dans le cadre de cette élection”, a ajouté le premier président élu de la 5ème République.

Si ces chiffres sont confirmés par le Conseil constitutionnel, le président de la transition qui se sera fait une virginité par les urnes, rangera juste son treillis dans les placards de l’armée, contre le boubou blanc de président du Tchad, qu’il étrennait depuis un bout de temps, comme s’il connaissait l’avenir. Les deux Premiers ministres du fils Deby, l’actuel, Succès Masra, et l’ancien, Albert Pahimi Padacké, s’en tirent, avec, respectivement, 18,53% et 16,91%.

Surprise, Masra auquel le succès a échappé, crie à la confiscation de sa victoire, alors que son prédécesseur à la tête du gouvernement, Pahimi Padacké, celui-là même qui avait prévu «un match amical» entre le président de la transition et son Premier ministre, n’a point attendu le verdict final du Conseil constitutionnel, pour féliciter le vainqueur, selon les résultats provisoires. Encore un scénario à la tchadienne!

Avant même que l’ANGE ne passe, Succès Masra avait déjà essayé de lui mettre du plomb dans les ailes, en se proclamant gagnant d’une élection qui s’annonçait, selon plusieurs observateurs, comme un arrangement entre lui et son président.

Nul, ou peu de gens, en tout cas, n’imaginait l’ancien opposant qui a dû négocier son retour au Tchad, alors qu’il avait, à dos la justice de son pays, entrer en compétition avec son chef, pour le fauteuil présidentiel. Mal en a-t-il pris au vizir qui voulait devenir calife à la place du calife?

Succès Masra a-t-il joué et perdu, ne sachant pas qu’un piège était, peut-être, savamment tendu autour de lui, pour le faire dégringoler de son piédestal d’opposant virulent, d’abord du père Deby et ensuite du fils? Ignorait-il qu’en Afrique, il ne faut jamais lorgner le trône en présence du roi, à moins que ce dernier meurt? Succès Masra ne s’est-il pas dit que Mahamat Idriss Deby, n’allait jamais accepter de se faire humilier par un opposant fusse-t-il devenu son Premier ministre?

A moins que le deal ne soit de contester l’élection du général, pour la crédibiliser, Succès Masra a bien du souci à se faire sur son sort, lui qui avait demandé à ce que soit tournée, définitivement, la page des Deby, à la mort du Maréchal Idriss Deby Itno. La vengeance étant un plat qui se mange froid selon l’adage, le dossier de l’«ancien Premier ministre» qu’il peut devenir, pourrait très vite se retrouver sur la table des juges et il est fort à parier qu’aucun cadeau ne lui sera fait.

Surtout qu’en acceptant le poste de Premier ministre à l’époque, l’ancien économiste à la Banque africaine de développement (BAD), avait perdu beaucoup de son crédit auprès d’un peuple tchadien qui n’avait pas fini de pleurer les centaines de morts, autant de blessés et d’interpellés, qui avaient manifesté suivant le mot d’ordre du champion du parti Les Transformateurs.

La politique ayant ses raisons que la Raison ne connaît pas, le feuilleton, sait-on jamais, pourrait se jouer autrement, pour le bonheur de Succès Masra. Sauf que, paraît bien suspect, l’empressement dont a fait preuve l’ANGE, dans la publication des résultats provisoires, alors qu’elle disposait encore d’une dizaine de jours devant elle, pour le faire.

Du reste, en Afrique, c’est la longue attente des chiffres sortis des urnes qui constitue la tradition! Pourquoi donc le Tchad, a-t-il fait aussi vite, exception à la règle? Mahamat Idriss Deby et son pouvoir sont-ils si fatigués par les trois ans de transition pour accélérer autant la diffusion des résultats?

Si aucune intention, autre que celle de d’aller vite à la démocratie en rendant publics les résultats des élections, n’est de mise, il faut, alors, féliciter l’ANGE qui a volé si vite! Surtout que cette présidentielle est censée mettre fin à la transition politique militaire, pour le retour du Tchad à un pouvoir civil.

Adresse de Succès Masra avant l’annonce des résultats

Plus tôt dans la soirée, le candidat Succès Masra, s’était exprimé pour revendiquer une victoire de son camp dès le premier tour, accusant l’institution de modification des résultats et provoquant une situation inédite et extrêmement incertaine à l’heure actuelle à la tête de l’État.

Dans une adresse diffusée sur Facebook, le premier ministre et candidat à cette élection dénonce des « violences » et des fraudes. « La victoire du peuple dans les urnes est éclatante » a notamment déclaré Succès Masra. Des déclarations prononcées avant la proclamation des résultats provisoires officiels par l’ANGE. 

L’agence électorale avait déjà pris tout le monde de court en annonçant les résultats dès ce soir, alors qu’elle avait encore une dizaine de jours pour le faire. Succès Masra lui a coupé l’herbe sous le pied en quelque sorte, en se déclarant vainqueur et en appelant ses militants à se mobiliser pacifiquement « dans le calme ».
Rafales d’armes automatiques

À Ndjamena, un très important dispositif militaire a été déployé pour quadriller la ville, pointe notre correspondant sur place, Carol Valade. Si la proclamation des résultats s’est faite dans le calme, le silence a ensuite été rompu par des rafales presque ininterrompues d’armes automatiques et même des détonations d’armes lourdes dans la soirée.

Des tirs de joie dans le centre-ville pour célébrer la victoire de Mahamat Idriss Déby, tandis que dans les bureaux de soutien au président candidat, les militants sont en train de faire la fête, de chanter, de danser. Des tirs sont également entendus dans les quartiers sud de la capitale, où les partisans de Succès Masra font, eux, plutôt part de leur déception et de leurs craintes. Deux ambiances totalement différentes à travers la ville.
– « Pilote et copilote » –

Dès l’annonce de sa candidature, Masra indiquait qu’il y participait pour perpétuer l’équipage actuel des « pilote et copilote » (M. Déby et lui, Ndlr) d’un avion en vol « vers la démocratie ». Ses anciens alliés d’une opposition très violemment réprimée et muselée depuis trois ans l’accusaient d’être un « traître » rallié à la junte et dénonçaient une candidature censée donner un « vernis démocratique » à un scrutin « joué d’avance » en faveur du général, afin de prolonger une « dynastie Déby » vieille de près de 34 ans.

Après 30 années à diriger le Tchad d’une main de fer, le maréchal Idriss Déby Itno avait été tué par des rebelles en avril 2021 en se rendant au front, et l’armée avait immédiatement proclamé son fils Mahamat Président de transition à la tête d’une junte de 15 généraux.

Trois ans plus tard, le jeune général tente de faire légitimer sa présidence dans les urnes. Nombre d’observateurs prédisaient jusqu’à récemment qu’il s’agirait d’une formalité, comme pour son père, officiellement élu et réélu confortablement six fois après son coup d’État de 1990.

Mais des ONG internationales ont émis des doutes sur une élection « ni libre, ni crédible » après que la junte eut violemment réprimé, jusque dans le sang, toute opposition et écarté de la course à la présidence les rivaux les plus sérieux du général Déby.
– Doutes sur le scrutin –
L’existence d’un « système de fraude depuis plusieurs élections » aurait poussé le camp de M. Masra à la méfiance à l’égard de l’ANGE, chargée du décompte des suffrages, assure à l’AFP un cadre du parti de M. Masra, qui requiert l’anonymat.

Au diapason du reste de l’opposition qui appelait à boycotter le scrutin, la Fédération Internationale pour les droits humains (FIDH) s’était inquiétée le 3 mai d’une « élection qui ne semble ni crédible, ni libre, ni démocratique », « dans un contexte délétère marqué par (…) la multiplication des violations des droits humains ».

Mercredi, le parti Les Transformateurs de M. Masra a dénoncé des « menaces graves » contre son chef et ses partisans ainsi que « des violences et arrestations arbitraires » contre ces derniers depuis le scrutin, ainsi que des fraudes. Et appelé « le peuple » à « défendre sa volonté exprimée dans les urnes ».

Si les partisans de Masra descendaient dans la rue, cela pourrait ouvrir la voie à des violences meurtrières, les manifestations de l’opposition étant systématiquement réprimées dans ce pays sahélien pauvre marqué, depuis son indépendance de la France en 1960, par les coups d’Etat et une multitude de rébellions.*

Mahamat Déby avait été adoubé dès sa proclamation par l’armée par une communauté internationale – France en tête – prompte à condamner les putschistes ailleurs en Afrique. Paris entretient encore un millier de militaires au Tchad, considéré comme un pilier de la lutte contre les jihadistes au Sahel, après que les soldats français ont été expulsés du Mali, du Burkina Faso et du Niger. (SMP/2024)

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