Funérailles d’Alexeï Navalny: courage de milliers de citoyens russes bravant peur et intimidation

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MOSCOU, 2 MARS (ASPAMNEWS)- «Navalny, Navalny»: son nom est scandé de longues minutes alors que le corbillard approche de l’église de l’Icône-de-la-Mère-de-Dieu «soulage ma douleur». Il n’est pas loin de 14 heures. Plus tôt dans la matinée, la foule s’est amassée peu à peu. À la mi-journée, elle formait une queue interminable de plus d’un kilomètre, s’enroulant autour du sanctuaire et débordant dans les rues adjacentes. Bravant les risques d’arrestation et la peur, les Moscovites sont venus par milliers, des fleurs à la main, pour un dernier adieu à l’opposant numéro un du Kremlin, mort le 16 février dans sa prison du Grand Nord russe.

Naguère, Alexeï Navalny a vécu – heureux, disait-il – dans ce quartier de Maryino, au sud de Moscou. Il y est revenu une dernière fois, vendredi, pour ses funérailles placées sous haute surveillance, dans une église dépourvue de grâce, surmontée de coupoles aussi grises que les grands immeubles environnants.

Le courage de milliers de citoyens russes qui ont bravé la peur, l’intimidation et un dispositif policier grotesque, vendredi 1er mars, pour assister à ses obsèques à Moscou, a montré que le régime de Vladimir Poutine n’a pas réussi à totalement évincer les idéaux pour lesquels l’opposant a donné sa vie.

Ils marchent, à visage découvert, quelques fleurs à la main, déterminés. Ils marchent dans le froid, encadrés par des grilles installées pour les contenir, observés, guettés par des dizaines et des dizaines de représentants des forces de l’ordre qui, eux, ont le visage parfaitement dissimulé.

Ils marchent par milliers et leur présence formidablement courageuse, en dépit des menaces, des risques d’arrestation, est autant un hommage à Alexeï Navalny qu’un geste de défiance à Vladimir Poutine. «N’abandonnez pas !» avait demandé l’opposant à son peuple dans le documentaire Navalny de Daniel Roher, sorti en 2022.

Le peuple russe n’a pas abandonné. «Tu n’avais pas peur, et nous n’avons pas peur», ont-ils scandé par milliers vendredi à Moscou alors que la dépouille du plus célèbre, et plus craint, opposant du président russe, a pu enfin être enterrée, quinze jours après sa mort le 16 février dans la colonie pénitentiaire de l’Arctique où il était emprisonné.

Les policiers sont arrivés les premiers, dès l’aube, fourgonnettes après fourgonnettes, long cortège menaçant, intimidant. Mais rien n’y a fait. A peine le jour levé, les Moscovites, de tous âges, ont commencé à affluer, marchant calmement vers l’église du district de Marino, dans le sud-est de la capitale russe.

Les autorités n’avaient pourtant ménagé aucun effort pour éviter que ces funérailles puissent donner lieu à un rassemblement, depuis les difficultés rencontrées par la mère d’Alexeï Navalny, mort en détention à 47 ans, le 16 février, pour récupérer son corps, jusqu’à l’impossibilité de trouver une salle à Moscou où son cercueil aurait pu être veillé.

Si ses parents étaient là, sa veuve, ses deux enfants et son frère, contraints à l’exil, n’ont pas pu participer aux obsèques. La cérémonie religieuse a été réduite au minimum.

La foule, dans sa majorité, n’a pu accéder ni à l’église ni au cimetière. L’important, pour ces simples citoyens, était de manifester par leur présence leur solidarité avec le militant démocrate victime d’une politique de répression d’une intensité que la Russie n’a pas connue depuis longtemps. Les slogans qui ont fusé, « Non à la guerre », « Poutine, assassin », « La Russie sera libre », n’ont laissé planer aucun mystère quant à leur opinion sur ce régime.

Beaucoup plus nombreux – plus de deux cent mille – ont été ceux qui se sont connectés à la chaîne YouTube de l’organisation de Navalny pour suivre le déroulement des obsèques. L’effet de la répression est incontestable : aux obsèques d’opposants assassinés, la taille de la foule, seule forme de manifestation encore possible, est de plus en plus réduite. Mais, en dépit de tous ses efforts, Vladimir Poutine ne parvient pas non plus à faire disparaître la dissidence.

Aucun signe d’ouverture

Le maître du Kremlin est pourtant allé jusqu’à prendre le soin d’éliminer une candidature pourtant inoffensive à l’élection présidentielle, celle de Boris Nadejdine, qui avait réussi à rassembler plus de cent mille signatures sur son opposition à la guerre en Ukraine.

A deux semaines de sa réélection quasi certaine pour un cinquième mandat à la tête de la Russie, sur laquelle il règne depuis un quart de siècle, M. Poutine multiplie les signes de durcissement.

Cette affirmation de son pouvoir et de sa rigidité est tout aussi notable dans sa politique extérieure. Le discours sur l’état de la nation que le chef de l’Etat russe a prononcé jeudi 29 février lui a donné l’occasion de répéter que la Russie était sur le chemin de la victoire en Ukraine.

Pour lui, l’issue de cette guerre à grande échelle, qu’il mène avec difficulté, de sa propre initiative, depuis deux ans, et pour laquelle il a dû mobiliser l’ensemble de l’industrie russe, ne peut être que militaire.

Malgré ses déclarations en faveur d’un « dialogue » avec les Etats-Unis, Moscou ne donne aucun signe d’ouverture sur des négociations possibles. Ses objectifs de guerre n’ont pas changé : au-delà d’une prétendue « dénazification » qui tient du fantasme, il s’agit de la conquête pure et simple de l’Ukraine, dont il nie l’existence en tant qu’Etat.

Dans son discours, M. Poutine a agité la menace d’un conflit nucléaire, « ce qui veut dire la destruction de toute la civilisation », si les pays occidentaux accroissent leur soutien à l’Ukraine. Face aux menaces d’un despote dont le rôle destructeur, précisément, est de plus en plus en agressif, la seule riposte reste celle de la fermeté. (DBA/2024)

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